Giorgia Meloni attaque le mal migratoire à sa racine tunisienne

Valeria Ferraro/SOPA Images/Shutterstock
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Les médias français ironisent sur les difficultés supposées de Giorgia Meloni après seulement quelques mois passés (fin octobre 2022) à la présidence du Conseil des ministres italien. On ne mentionnera que pour mémoire les abois compulsifs de la gauche et de l'extrême gauche qui la suspectent de post-fascisme. Comme en France, les accusations cycliques, contre les partis patriotes, de fascisme (par les nervis violents et casseurs « antifas » !) et de pétainisme par Borne ou Mélenchon, à court d'arguments intelligents.

La presse mainstream ironise, elle, sur le fait que l'Italie a été confrontée à un triplement des migrants illégaux aux premiers mois de 2023. Comme si Mme Meloni pouvait être responsable de cette fatalité.

Or, voici que Giorgia Meloni vient de réussir - en ces premiers jours de juin - un très beau coup politique et économique : un donnant-donnant accepté par ses voisins tunisiens, le président Kaïs Saïed et son Premier ministre Najla Bouden. Une Tunisie menacée par l'islamisme criminel, affaiblie par de grandes difficultés économiques et sociales, confrontée à une invasion migratoire de transit et stigmatisée par un Parlement européen sur le départ. Très habilement, Giorgia Meloni s'est abstenue d'évoquer les sujets sensibles de politique intérieure tunisienne que Bruxelles (ce parangon de vertus ?) aime tant dénoncer. Elle a simplement proposé à la Tunisie de lui apporter ce qui lui manque : de l'électricité et de la technologie (Najla Bouden est ingénieur), en échange de ce qui manque à l'Italie : une frontière sud étanche à l'immigration.

Giorgia Meloni offre aussi son soft power, c'est-à-dire sa capacité de soutien au président Saïed - taxé d'autoritarisme après sa réforme de la Constitution tunisienne (Saïed est juriste et constitutionnaliste) - auprès de Bruxelles et auprès du FMI. Car c’est auprès d'une troisième femme, Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international, que la présidente du Conseil italien tentera de se faire entendre pour que le FMI libère enfin le prêt de 2 milliards de dollars pour lequel la Tunisie avait obtenu l'accord de principe en octobre 2022. Pour accueillir la ligne THT sous-marine qui amènera à la Tunisie l’électricité qui manque à son industrie, il faut rapidement libérer ce prêt. La coopération énergétique, c'est ce projet d’interconnexion électrique marine Elmed « permettant à Rome et à Tunis de devenir des centres d’approvisionnement énergétiques pour l’Europe et les pays africains ». L'ambitieuse stratégie italienne est une partie d'un vaste programme à destination de l’Afrique, notamment avec l'Algérie et l’Éthiopie, pour « une coopération qui ne soit pas paternaliste mais basée sur l’égalité et qui permette à chacun de défendre son intérêt national en continuant une coopération qui offre des chances à tous ». Au moment où la Russie cesse d'être l'eldorado gazier, l’Algérie propose de relancer le projet de gazoduc Galsi et l'Italie veut devenir un pont énergétique entre l’Afrique et l’Europe. Lors de la 8e édition du Forum du dialogue méditerranéen MED, organisé à Rome, début décembre 2022, par le ministère des Affaires étrangères italien, Mme Meloni a présenté son « plan Mattei » pour l’Afrique (en hommage à Enrico Mattei, fondateur de l'ENI, qui avait négocié des partenariats plus équitables avec les pays producteurs de pétrole comme l’Algérie). Mme Meloni avait alors annoncé que l’Italie adopterait une « attitude non prédatrice mais coopérative » à l’égard du marché africain, à la manière de Mattei. À Tunis, il y a quelques jours, Mme Meloni a aussi promis à Mme Bouden un investissement de 700 millions d’euros dans le secteurs de la santé et des services.

Quant à la Tunisie, où prospèrent de nombreux réseaux d'immigration irrégulière, elle devra mettre fin à ces trafics. L'Italie, qui a décrété en avril l’état d’urgence migratoire, contribuera pour 6,5 millions d’euros à cette lutte. Des patrouilles conjointes en mer seront organisées et les réseaux de passeurs seront démantelés pour faire de la Méditerranée un espace infranchissable. La Tunisie prépare aussi un projet de loi sur les ONG qui seront soumises à une approbation préalable du gouvernement et propose de tenir un sommet sur la question migratoire avec les pays de destination et de départ. À Rome ou à Tunis ?

Quoi qu'il en soit, là où la France élyséenne stagne en vantant sa « pensée complexe », l'Italie avance sa dynamique simple, cohérente, pragmatique, ferme. Les élections européennes de mai 2024 seront décisives.

Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

Vos commentaires

28 commentaires

  1. On attendait de vraies solutions, en voici. Au lieu de s’époumoner à vociférer et proférer menaces ou flatteries, l’Italie pratique du pragmatisme et ça marche. Comme dit l’adage, quand on veut, on peut. Le tout est de vouloir vraiment et ce n’est pas le cas de la France qui gesticule tandis que d’autres agissent. Reste à voir si la Tunisie respectera sa parole. Mais peut-être qu’elle ne peut plus s’offrir le luxe de refuser cette main tendue.

  2. La finesse et l’intelligence latine n’est plus à démontrer, rien à voir avec l’obscurantisme idéologique qui s’est abattu sur le machin europe. Une autre femme, elle non élue, mais mise en place par l’oligarchie, devrait s’en inspirer et se détourner des voix venues d’outre atlantique. Le « machin » s’en porterait bien mieux.

  3. À quand une Méloni en France? Il est plus facile de critiquer que d’agir . Nous ressemblons plus à Don Quichotte qu’à Charles Martel.

  4. Allo, Darmanin, t’es où ? Bizarre que l’on n’entende pas notre courageux et impartial ministre. Et s’ils prenait un peu de la graine chez cette femme courageuse. Les Français ne lui en voudront pas de « la copier » ….

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