Gilles de Rais (1405-1440), au service du Paradis et de l’Enfer

gilles de rais

Le 26 octobre 1440, il y a 582 ans, la ville de Nantes et ses habitants sont les témoins d’un spectacle inouï, l’aboutissement d’une affaire judiciaire mettant en cause l’un des plus grands seigneurs du royaume de France : Gilles de Rais. L’ancien maréchal est condamné et emmené à l'île de Grande Biesse pour des crimes odieux et envers, selon les rumeurs, plus d’une centaine d’enfants.

Gilles de Montmorency-Laval, plus connu sous le nom de Gilles de Rais, aurait vu le jour vers 1405 au château de Champtocé, en Anjou. Fils aîné de sa famille, il est destiné à devenir un grand seigneur aux possessions nombreuses. Devenu orphelin en 1415, Gilles est élevé par son grand-père maternel, Jean de Craon (-1432). Cet homme, cruel et ambitieux, ne perd pas de temps en fiançant son petit-fils avec l’une de ses jeunes cousines, Catherine de Thouars (1404-1462). Cette dernière lui apportera en dot les fameux châteaux de Pouzauges et de Tiffauges, dans l’actuelle Vendée. Cette union renforça la position de Gilles de Rais dans ce territoire nommé alors le Bas-Poitou.

Comme beaucoup d’autres gentilshommes de son époque, il a soif de gloire et de batailles. Remarqué par ses faits d’armes dans diverses campagnes militaires visant à rapprocher le duché de Bretagne et la France, Gilles de Rais voit ses possessions et ses biens renforcés par la protection de son suzerain, le dauphin Charles (1403-1461). Le seigneur de Tiffauges s’investit alors activement dans le conflit bientôt centenaire qui oppose le royaume de France à celui d’Angleterre. Il devient même l’un des plus grands appuis du futur roi de France, dépossédé de sa légitimité à régner à cause du funeste traité de Troyes. Ce dernier, signé en 1420 par Charles VI, dit « Le Fou », fait des souverains d’Angleterre les véritables rois de France à la place de la dynastie des Capétiens.

Mais Dieu n’a pas oublié le dauphin de France. Ainsi, en février 1429, arrive au château de Chinon une jeune Lorraine répondant au nom de Jeanne d’Arc. Elle promet à Charles qu’il deviendra roi de France. Présent, aussi, lors de l’entrevue de Chinon, Gilles de Rais devient l’un des compagnons d'armes de la Pucelle et l’accompagnera durant toute la durée de sa sainte mission. Cette dernière commencera par la libération d’Orléans, puis de Reims, ainsi que de nombreuses autres villes du royaume. Le 17 juillet 1429, lors du sacre royal de Charles VII, Gilles reçoit l’honneur de porter, avec trois autres seigneurs, la Sainte Ampoule. Ce même jour, le jeune baron de Rais est élevé à la dignité de maréchal de France en reconnaissance de son engagement guerrier et de son appui politique auprès du souverain. Il lui est même accordé le privilège de pouvoir ajouter à son propre blason les armes de France, c’est-à-dire les fleurs de lys semées sur champ d’azur.

Enorgueilli par ses nouvelles distinctions et marqué par la disparition de la Pucelle d’Orléans en 1431, Gilles de Rais se retire progressivement du conflit et retourne sur ses terres. Il se met alors à dilapider sa fortune et à sombrer dans la pratique d’arts occultes. À vouloir vivre comme un prince de sang, le seigneur de Rais n’en a pourtant pas les moyens. Cherchant à embellir ses demeures, à organiser de fastueux banquets et à payer ses soldats guerroyant lors de quelques escarmouches contre les Anglais, Gilles de Rais voit sa fortune disparaître. Afin d’y remédier, le seigneur de Tiffauges se tourne vers l'alchimie en s'entourant de prédicateurs et de mystiques. Ces derniers prétendent pouvoir créer la mystérieuse pierre philosophale, un objet pouvant prétendument transformer les métaux en or. Pour arriver à sa fabrication, ces charlatans ne cessent de demander à Gilles des matériaux rares et chers. On dit même que pour arriver à ses fins, il aurait pratiqué de nombreux sacrifices d'enfants dont les corps disparaissent dans les douves ou dans l’âtre du foyer. Désormais, le passage du seigneur de Rais dans ses terres est synonyme de disparitions de jeunes garçons ainsi que l’apparition d'écœurantes odeurs s'échappant des cheminées des demeures seigneuriales.

Cette situation aurait pu rester secrète si seulement Gilles de Rais n’était pas allé trop loin dans ses excès. En effet, ses actions finissent par attirer l’attention de l’Église, une issue qui lui fut fatale. Le 15 mai 1440, le maréchal de France s’en prend violemment à des agents ecclésiastiques lors d'une messe de la Pentecôte à Saint- Étienne-de-Mer-Morte. L’Église, souhaitant condamner ce seigneur rebelle, mena une enquête avec le concours du duc de Bretagne, Jean V (1389-1442). Furent alors découverts et révélés les nombreuses rumeurs et témoignages sulfureux poursuivant le seigneur de Rais. Arrêté en septembre 1440, il est excommunié et condamné pour hérésie et le meurtre d'au moins une centaine d'enfant (si ce n'est plus).

Le 26 octobre 1440, le tristement célèbre baron de Rais, après avoir pu suivre une ultime messe, sort de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes. Il se dirige alors vers l'île de Grande Biesse, sur l’actuelle île de Nantes, afin d'y être exécuté, mettant ainsi fin à plusieurs mois d'enquêtes et de procès au parfum de soufre et de sang. Pendu et partiellement brûlé, Gilles est enterré, par égard pour son rang, au sein de l'église du couvent des Carmes de Nantes. Cette église sera détruite lors de la Révolution française, faisant disparaître à jamais le terrible seigneur de Rais.

Si certains ont voulu l’innocenter en prétextant une exagération de ses méfaits à des fins politiques, d’autres avancent des motivations pédophiles et psychiatriques. Une telle fascination amena même le conteur Charles Perrault à s’inspirer du terrible personnage avec celui d’Henri VIII d’Angleterre pour d’écrire l’histoire de Barbe-Bleue, cet homme qui capturait de pauvres victimes et les assassinait.

Eric de Mascureau
Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

Vos commentaires

11 commentaires

  1. Une très belle armure, facture Italienne ? une armure que ne pouvait pas se payer le roi Charles VII. Une époque ou un mors coutait plus cher qu’un cheval, aujourd’hui moins de cent euros a décathlon, alors pensez donc une armure de cette qualité. De toute façon ce monsieur a subi le même procès que celui des templiers le seul but est de s’emparer de sa fortune, avec les mêmes accusations. pourquoi se serrait-il décarcasser a faire d l’or, alors que ses terres comprenait plusieurs mines d’or dont la dernière a fermée dans les années 50 ( mine de Saint Pierre et Montlimar ) à Montrevault Maine et Loire.

  2. Destin fascinant. Si, vraiment, Gilles de Rais vouait une admiration à Jeanne d’Arc il est facile d’imaginer qu’il a dû être bouleversé de voir le sort qui lui a été réservé en particulier par l’Eglise et le vilain évêque Cauchon. Comment croire encore ? Il y avait de quoi devenir fou. Y a-t-il un psychiatre dans la salle ?
    À noter qu’il n’y a aucune représentation de Gilles de Rais et que ce n’est donc pas lui sur le portrait de l’article.

    • Gilles de Laval, Seigneur de Rais, d’après un portrait du XVIe siècle, d’auteur inconnu « . Gravure (d’après la toile peinte d’Éloi Firmin Féron) en frontispice dans Eugène Bossard, Gilles de Rais, maréchal de France, dit  » Barbe-Bleue « , Paris, Jean de Bonnot, 1992. 12 janvier 2003. 494 anonyme Portrait de Gilles de Rais

  3. La légende raconte qu’il demanda pardon sur son lieu d’exécution, qu’il s’est repenti, et que les gens présents pleuraient. Qu’en est-il?

  4. Cet article dit que Gilles de Rais était « l’un des compagnons d’armes de la Pucelle et l’accompagnera durant toute la durée de sa sainte mission » ; bien qu’il puisse être noté qu’il n’y a aucune mention dans les sources du 15ème siècle qu’ils se soient jamais parlé ou aient fait quoi que ce soit ensemble. Il n’était que l’un des dizaines de commandants de l’armée.

  5. Bonjour

    Un grand avocat, Maitre Maurice Garçon, lors d’un congrès d’avocats à Nantes avait eu avec d’autres avocats accès au jugement de Gille de Rais, un dossier vide avec à charge que des « on dit que .. », pas un seul témoin oculaire A notre époque il aurait été acquitté.
    Le président du tribunal était Jean de Malestroit, évêque de Nantes qui avait passé plusieurs mois dans les geôles de Gilles de Rais pour complicité avec l’anglais et avait échappé à la potence qu’en qualité d’ecclésiastique. Quant à Jean V de Bretagne, sa peur était de voir Gilles de Rais prendre la Bretagne quand il aurait dilapidé sa fortune. Un par rancune et un autre par peur ont surtout été les causes de la condamnation de Gilles de Rais.
    Il ne faut pas non plus absoudre Gilles de Rais, mai au moyen-âge, que valait la vie d’un enfant ?

    • Vous avez raison , Il suffit aussi de voir le procès de Jeanne d’Arc ! Il était facile d’accuser sur des rumeurs fondées ou non
      Mais notre époque est-elle exemplaire, les procès staliniens, de khmers rouges, et même dans les sociétés occidentales , combien d’erreurs judiciaires aux US et le doute concernant l’affaire du « pull over rouge » etc..

    • Il me semble que prendre la vie d’un enfant au moyen-âge en France pouvait valoir la peine de mort à l’assassin. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

    • Que vaut la vie d’une enfant assassinée, massacrée aujourd’hui si ce n’est un simple fait divers pour nos politiciens.

    • Il est vraisemblable que ces enfants – au moins pour certains – avaient été « placés » par leurs parents contre rémunération mais de là à ce que ces parents connaissent le sort qui leur était réservé c’est aller vite en besogne.

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