Général Lalanne-Berdouticq : « L’OTAN, combien de divisions ? »

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Le général (2s) Alexandre Lalanne-Berdouticq revient sur le conflit ukrainien, les risques et les enjeux pour l'Union européenne, obligée de réarmer en catastrophe face à un Vladimir Poutine conscient de la faiblesse de l'Occident.

 

L’Ukraine subit encore l’assaut de l’armée russe. On parle d’un encerclement de la ville de Kiev. Pensez-vous que l’armée russe va sortir victorieuse sur le plan militaire de cette guerre ?

Je pense que sur le plan militaire, elle va sortir victorieuse, mais dans combien de temps ? Personne ne le sait. À ma connaissance, je n’ai pas les renseignements de première main, mais le différentiel de force entre l’armée russe et l’armée ukrainienne est trop important.

 

Le mot guerre est un mot qui a beaucoup été utilisé, ces derniers temps. On parlait de guerre contre le terrorisme islamiste sur le territoire français. On parlait de guerre contre le virus. Aujourd’hui, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a annoncé que la France allait mener une guerre économique contre la Russie. Ces propos ont déclenché une réaction de Dmitri Medvedev.

Bruno Le Maire est revenu sur sa déclaration en disant que c’était maladroit. Que veut dire cette sortie pour le moins hasardeuse du ministre de l’Économie et des Finances ?

Je pense qu’en l’occurrence, le ministre de l’Économie et des Finances n’a pas suffisamment pesé le poids des mots qu’il employait. L’état de guerre est un état juridique qui engage ceux qui y sont soumis à un certain nombre d’obligations, de devoirs et surtout de conséquences possibles.

 

Est-ce l’absence de guerre qui a galvaudé l’usage de ce mot ? Nous avons peut-être oublié la gravité de ce que cela représente.

Je pense que c’est plus profond que cela. Beaucoup de nos hommes politiques, de nos journalistes et de nos commentateurs ont tout simplement oublié le sens des mots. On le voit d’ailleurs dans d’autres domaines.

 

C’est la première fois qu’une guerre est vécue de manière aussi épidermique par l’opinion. On le voit désormais grâce aux réseaux sociaux. On a accès en direct aux images et aux faits de ce conflit. Selon vous, qu’implique cette apparition d’un conflit que l’on peut suivre comme une « série Netflix » ?

Nous sommes dans une époque où nous avons parfois la difficulté, surtout chez les jeunes générations, de distinguer la réalité du virtuel. Pour la première fois, on s’aperçoit qu’à trois heures de Paris, ce ne sont plus des unités parfois significatives comme celles auxquelles nous étions confrontés dans les Balkans, mais ce sont de vraies divisions blindées, des corps d’armée voire même plusieurs armées qui sont engagés sur le terrain. Les Européens se disent que c’est tout proche de nous.

Cela fait des années que l’on nous parle d’engranger les dividendes de la paix et que la guerre est impossible. Nous sommes quelques-uns à dire le contraire depuis des dizaines d’années. Nous disions que la réalité se réimposerait un jour. Elle est aujourd’hui devant nous et cela affole un peu les gens et je peux les comprendre.

 

Qu’implique cette guerre pour l’Europe ? Jacques Attali a appelé à la désescalade. Il craint en effet que cela dégénère en Troisième Guerre mondiale et, finalement, en guerre atomique de part et d’autre. Nous avons vu que Vladimir Poutine avait brandi la menace de la dissuasion nucléaire.

On peut le craindre légitimement. Je l’ai écrit dans un papier qui circule depuis quelques jours. Nous sommes en train de rendre fou l’ours russe qui déjà ne se porte pas bien. Nous jouons un jeu très très dangereux. Ce qui pouvait être salutaire dans cette épouvantable crise, c’est que l’Europe découvre enfin qu’elle est toute nue, militairement parlant. On l’a bien vu avec la réaction dramatique du général, chef de l’état-major de l’armée de terre allemande, disant « Je suis incapable de proposer au gouvernement des mesures militaires crédibles s’il voulait les brandir ». Heureusement, l’armée française n’en est pas là de son côté. Elle est dans une situation qui n’est pas bonne, mais moins mauvaise. Le reste de l’Europe s’aperçoit qu’il est tout nu. Or, pour fabriquer ou refaire les forces armées, il faut beaucoup de temps et surtout un réarmement moral dont beaucoup de pays me semblent, sinon incapables, du moins difficilement capables parce que ce serait une véritable révolution copernicienne dans l’ensemble du peuple qu’il faudrait opérer.

 

Nous avons vu des pays traditionnellement neutres et pacifiques comme la Suède se réarmer. Quelle leçon doit-on tirer de cela ? A-t-on eu tort de « sous-traiter » notre sécurité à l’OTAN ? Je parle au niveau européen, même si vous avez précisé que la France n’avait pas suivi cette voie-là.

Nous avons eu tort de faire confiance à l’OTAN, qui est une alliance de pays. On a voulu ajouter des faiblesses, mais en réalité il faut ajouter des forces. Or, le plus fort, dans l’alliance, est les Américains. Force et de constater que si, sur le papier, leurs forces sont immenses, dans la réalité, et on l’a bien vu encore avec leur décapilotade de cet été à Kaboul, ils n’ont plus qu’une sorte d’apparence de force. Leur détermination reste à démontrer depuis un certain nombre d’années, même s’il y a d’excellentes personnes chez eux, des généraux et des soldats tout à fait capables.

De plus, ils ont décidé de laisser l’Europe à elle-même. Ils avaient 220.000 hommes en 1990 sur notre continent, et aujourd’hui, ils en ont moins de 30.000. Ils reportent la presque totalité de leurs efforts sur le Pacifique. On peut les comprendre, mais il serait temps, dans ce cas-là, de prendre acte du fait qu’ils partaient pour renforcer nos capacités de défense. Or, nous ne l’avons pas fait.

Le mirage de l’Europe de la défense, c'est un mirage. Cela n’existe pas, puisque nous ne voulons pas la même chose. Nous étions les seuls, dans le continent, depuis 25 ans, à parler d’Europe-puissance. Nos partenaires n’en voulaient pas. Aujourd’hui, il est trop tard pour agir militairement.

 

Quelle voie faudrait-il prendre ? Cela plaide-t-il pour une grande armée européenne, pour une mutualisation des efforts militaires. L’armée française, aussi brave soit-elle, ne peut pas rivaliser avec une armée aussi puissante que l’armée russe. Est-ce un point dans le camp des fédéralistes ?

Je pense que les fédéralistes vont essayer de surfer sur cette vague, mais je ne crois absolument pas à une armée européenne. J’ai eu l’honneur de participer à quelques opérations et je sais ce que c’est, de mettre un soldat français dans un sac en plastique. Il y a des soldats français, des soldats allemands, des soldats belges, des soldats espagnols et des soldats italiens, mais pas de soldats européens. Cela n’existe pas. Tout change lorsqu’il s’agit de verser son sang ou de se retrouver dans un épisode de combat. On peut dire ce que l’on veut, mais il faudrait d’abord que les pays soient d’accord pour faire la même chose - ce n’est absolument pas le cas - et qu’ils aient récupéré des forces morales. C’est ce qui m’attriste énormément, dans ce qui se passe depuis des années dans l’armée française. Il y a un énorme problème de forces morales avec l’impossibilité d’imposer une discipline en vue du combat dont certaines armées souffrent ; je pense notamment aux Hollandais et aux Allemands. C’est terrible. C’est beaucoup plus profond que de construire des chars ou des canons.

 

Qu’une armée allemande ne reforme pas, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Oui, je parlais dans le cas où nous aurions réussi à avoir des forces conjointes, complémentaires et unies en vue d’une action commune. Vous connaissez ce que disait le général de Gaulle ? « J’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux plutôt qu’une. » Le vieux rêve de l’officier français, dans les années 80, c’est que l’armée allemande soit plus forte que l’armée russe et que l’armée française soit plus forte que l’armée allemande. C’est une autre problématique.

 

Pour synthétiser, c’est presque une aubaine pour l’OTAN. Tout le monde se demandait à quoi servait ce vieux machin censé inféoder les nations aux États-Unis. Force et de constater que l’OTAN vient de gagner 30 ou 40 ans d’espérance de vie supplémentaire et que les marchands d’armes doivent être ravis puisque l’on va assister à un réarmement de l’Europe.

L’OTAN peut effectivement ramasser la ligne, à condition qu’il se montre efficace sur le terrain dans cette crise, ce qui n’est pas le cas pour le moment. N’oublions pas que c’est une alliance politique et militaire. Comme nous sommes privés de moyens militaires sur le continent, je ne vois pas exactement en quoi l’OTAN va peser par rapport à l’invasion russe. Je serais un général soviétique, je demanderais, comme Staline parlant de Pie XII : combien de divisions ?

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Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

2 commentaires

  1. Quand on mesure la taille de ses armes, on ne va pas tirer les moustaches de l’ours comme l’a prétendu faire notre Chef-de-Guerre . Quelle inconséquence tragique !…..

  2. Que cette guerre en Ukraine soit une aubaine pour l’OTAN supposerait son caractère fortuit et que l’OTAN n’y serait pour rien.
    Je crois au contraire que ce conflit est l’oeuvre de l’OTAN pendant des décennies où ses actions ne contribuaient pas à la défense de ses membres.
    La disparition de l’OTAN est pour moi plus que jamais à l’ordre du jour, puisque c’est son existence qui nuit à la fois à la diplomatie et à la puissance militaire de chaque pays européen qui en est membre.

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