Dominique Marcilhacy : « Avec Emmanuel Macron, la grande misère de la Justice va se poursuivre »

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Dominique Marcilhacy est magistrate et déléguée de l'USM (Union syndicale des magistrats). En cette veille d'élection présidentielle, elle tire le bilan « Justice » du quinquennat Macron et réagit aux annonces des candidats.

Sabine de Villeroché. Dominique Marcilhacy, la dernière fois que je vous ai interrogée, les magistrats étaient en colère et l’USM en grève. Vous dénonciez le manque de moyens donnés à la Justice française. Qu’en est-il, aujourd’hui, Éric Dupond-Moretti a-t-il depuis répondu à vos attentes ?

Dominique Marcilhacy. Non. En termes de budget, l’augmentation des deux dernières années est une belle arnaque : on a bien augmenté le budget de la Justice mais en transférant une recette – mais également la dépense qui va avec - du ministère de l’Intérieur à celui de la Justice.

En termes d’effectifs, le garde des Sceaux a procédé, à grand bruit, au recrutement de quelques assistants de justice. Mais ce ne sont pas ces personnes qui vont faire le travail des juges. Et, en parallèle, il est en train d’assécher le recrutement des magistrats à titre temporaire qui font pourtant un important et ingrat travail de terrain. Enfin, les postes de juge offerts aux concours ont diminué. Quand, après ces mesures cosmétiques, Éric Dupond-Moretti a annoncé que « la Justice était réparée », toute l’institution a vu rouge.

L’annonce par le candidat Macron du recrutement de 8.500 « magistrats et personnels de justice supplémentaires » est tout à fait insuffisante. En effet, on a besoin de recruter 3.000 magistrats et 9.000 greffiers supplémentaires pour fonctionner juste normalement… sans compter qu’au sein des « personnels de justice » évoqués par le candidat Macron, on compte aussi les surveillants de prison qui représentent, en général, plus de la moitié des recrutements. La grande misère de la Justice va donc se poursuivre.

S.d.V. Quel regard portez-vous sur ce quinquennat qui s’achève d’Emmanuel Macron pour ce qui concerne l'état de la Justice française ?

D.M. On ne peut pas rendre Emmanuel Macron seul responsable de la décrépitude de la Justice. Elle date de plusieurs dizaines d’années, même si le Président sortant est au pouvoir depuis maintenant dix ans (n’oublions pas qu’il a été au gouvernement de Hollande). Mais son quinquennat a vu apparaître la trame d’un manteau déjà élimé.

Or, pour aggraver la situation, les cinq dernières années ont vu se multiplier des réformes incessantes, toujours plus complexes et généralement inutiles, voire néfastes. Cette bougeotte permanente a terriblement gaspillé le temps, déjà si rare, des juges et des greffiers.

S.d.V. Pensez-vous que les propositions de Marine Le Pen pour réformer la Justice soient à la hauteur des enjeux ?

Je ne me prononcerai pas sur les choix de politique pénale qu’elle préconise car, en tant que juge, je suis chargée d’appliquer la loi et non de faire la loi. Aux citoyens de décider s’ils veulent plus ou moins de répression des crimes et délits.

Mais je ne peux que souligner à quel point sont devenues absurdes les mille et une dispositions qui détricotent toutes les décisions des juges afin d’éviter, à tout prix, l’envoi des délinquants en prison. La réalité est qu’on manque de places de prison et qu’en la matière, les promesses de construction n’ont jamais été tenues. Or, en plus de complexifier encore le circuit du condamné, ces mesures font perdre aux malfrats la certitude d’être punis et aux citoyens la confiance dans leur Justice.

Aussi, limiter les aménagements de peine, rétablir les courtes peines de prison, construire des places de prison, ces propositions vont dans le bon sens.

Sur le plan des moyens, Marine Le Pen annonce qu’elle veut doubler le nombre de magistrats. On se prend à rêver… Recruter 3.000 juges et 9.000 greffiers serait déjà une promesse alléchante. La candidate a raison, à cet égard, d’indiquer qu’on peut effectuer ce recrutement rapidement et sans perdre en qualité, à condition de choisir, pour des postes bien précis, des personnes qui connaissent déjà la matière, tels de que des avocats spécialisés.

Entre un Président qui a démérité et une candidate qui peut offrir de belles promesses, la lutte est inégale. Chat échaudé craint l’eau froide.

Sabine de Villeroché
Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Vos commentaires

9 commentaires

  1. Evidemment si nous gardons Macron, la grande misère de la justice va se poursuivre et être de plus en plus une justice à deux vitesses. De même pour l’hôpital. Ce qui ne l’empêchera pas de jouer de plus en plus au petit dictateur.
    Allez vous faire injecter votre 4ème dose de LNI (liquide non identifié), c’est inefficace, mais allez-y tout de même.
    Si vous avez votre passe vaccinal, vous pourrez aller boire un café, mais sans sucre et debout les jours pairs, assis les jours impairs.

  2. Si MACRON est réélu, il n’y aura pas que la grande misère de la JUSTICE qui va se poursuivre. il y a également celle du peuple FRANCAIS. Car depuis l’ouverture au monde pour le commerce et l’industrie, depuis que nous sommes dans U.E. et depuis l’ouverture de nos frontières à toute la misère du monde, TOUT VA de MAL EN PIS. Conclusion, si nous avons encore le même Chef d’Etat le 24 Avril, on peut se préparer aux PIRES calamités.

  3. Tant que les juges se croiront autorisés à se déguiser en politicards, la justice s’assurera une impasse irrespirable.
    Il est grand temps de remettre dans le droit chemin tout ce petit monde qui prend de plus en plus la fâcheuse tendance de se mêler de ce qui ne le regarde nullement.

  4. En voilà une magistrate qui ne sera pas nommée au con-seil con-stitutionnel par Macron ! Pas comme celle qui a classé sans suite l’affaire Ferrand !

  5. La justice est malade pas que de budget. Les juges ne rendent pas la justice, ils appliquent des lois en entachant leurs sentences de considérations personnelles et politicoeconomiques. Ma grande hantise est d’y être un jour confronté.

    • J’ai confiance dans la justice de mon pays est une phrase que nous entendrons de moins en moins.

  6. On parle bien sur de la justice pénale qui accapare la plus grande partie de l’institution, mais on occulte totalement les procédures administratives et civiles dont les délais de traitement, sont tout simplement ahurissants. Au minimum un an pour une affaire simple qui pourtant peut être dramatique pour ceux qui en sont victimes.

    • Bien d’accord, un chef d’entreprise attendra un an quand des dossiers pour l’immigration institutionnalisée prendra tout le temps des procédures administratives !! eh oui , elle ne peut pas tout faire sauf d’empêcher une entreprise de travailler …

Commentaires fermés.

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