Des historiens de l’Antiquité souhaitent la disparition de leur discipline: merveilleuse Amérique !

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Le Figaro du 12 mars dernier a publié la tribune de Raphaël Doan, normalien, énarque et agrégé de lettres classiques. L'auteur y montre comment un certain nombres de spécialistes américains de l'Antiquité souhaitent ardemment la disparition de leur histoire. C'est un texte dont on ne sort pas indemne, tant on a la terrible impression qu'il décrit un acharnement qui prend l'allure d'un suicide collectif.

Afin de déconstruire la « blanchité », plusieurs professeurs d'universités prestigieuses s'insurgent contre l'enseignement des classics, comme on dit là-bas. Parce qu'elles perpétuent la domination blanche, parce qu'elles sont la matrice de tous les fascismes et de toutes les oppressions coloniales, les études de lettres classiques, dont l'objet (Rome et la Grèce) n'aurait rien de particulièrement fascinant, perpétueraient l'ethnocentrisme occidental. Il faudrait, constate avec abattement M. Doan, qui cite l'un de ces fous dangereux, « tout détruire par les flammes ».

Pire : il y aurait de la « cruauté » à demander aux étudiants en lettres classiques une maîtrise correcte du latin et du grec. Le professeur Padilla, de Stanford, considère que les gens devraient « penser à des gens de couleur » quand ils pensent aux études classiques. Et si ça ne marche pas, professeur ? « Je me débarrasserais carrément des lettres classiques. » Voilà, tout simplement.

Tout d'abord, un grand merci à M. Raphaël Doan, véritable lanceur d'alerte. Un lieu commun, Dieu merci pas tout à fait exact, veut que ce qui se passe aux États-Unis doive fatalement arriver chez nous. Il semble que ce soit un peu le cas (avec le scandale inepte autour des Suppliantes d'Eschyle, à la Sorbonne, par exemple), mais que les études « décoloniales » en France n'aient pas étendu leur ombre malfaisante jusque dans le domaine des lettres classiques.

Au contraire, pour l'instant, la culture classique « dominante » (au sens bourdieusien), qui est celle de la gauche intellectuelle (enseignants, professeurs, normaliens, Saint-Germain-des-Prés, philosophie allemande, folklore soviétique), comprend la connaissance du latin et du grec, ainsi que du monde antique et de son histoire. C'est pourquoi on a tort, me semble-t-il, de considérer que le mouvement décolonial, venu des États-Unis et qui racialise tout, est l'héritier naturel du gauchisme européen.

Merveilleuse Amérique, en tous les cas ! Pays de l'inculture, du toc et du meurtre, du libéralisme débridé ; pays de protestants fanatiques qui a, fort logiquement, inventé le cocktail (boisson d'hypocrites) et le porno (divertissement de frustrés), prolongeant drôlement le célèbre parallèle de Max Weber entre éthique protestante et esprit capitaliste. Non seulement les États-Unis incarnent, à l'échelle du monde, la violence, l'autocentrisme, l'inculture et l'égoïsme, mais le peu de culture qu'ils ont, et qui leur vient de l'Occident blanc et chrétien (puisque, dans leur glorieuse épopée, les cow-boys ont massacré les Indiens), ils veulent désormais l'interdire...

Deux leçons - bien modestes - pourraient cependant être tirées de l'Antiquité pour les appliquer à l'Amérique contemporaine. D'abord, les défenseurs de la démocratie athénienne (Aristote le premier, dans La Politique) considéraient que le statut de citoyen n'était pas donné à tout le monde : en gros et pour faire simple, était citoyen athénien, le fils de citoyen athénien. Et, surtout, la damnatio memoriae, qu'on appelle maintenant cancel culture, consistait, à Rome, en l'effacement des statues (martelées) et des œuvres (détruites), et jusqu'au nom, de celui que l'on voulait faire oublier. Les communistes le firent à leur tour, avec les photos notamment. Les nationaux-socialistes aussi, en déportant des familles entières au nom d'une prétendue coutume franque, la Sippenhaft : c'est ainsi qu'en 1944, la comtesse von Stauffenberg, mère de cinq enfants, enceinte du sixième, fut déportée après l'exécution de son héroïque mari (célèbre auteur d'un attentat contre Hitler) et ses enfants placés dans des foyers.

Par conséquent, en voulant détruire la culture classique, la stupide gauche américaine (qui devrait faire honte, à mon avis, à la gauche intellectuelle dont elle se réclame) utilise ironiquement un outil qui lui vient de la plus haute Antiquité. La bêtise en appui de la haine : c'est à ce genre de petits indices qu'on reconnaît la marque des grands.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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