Malheur aux vaincus, l’Histoire appartient aux vainqueurs, les vaincus ont toujours tort, etc. On connaît ça par cœur. Avec la défaite de Donald Trump, ceux qui avaient oublié cette loi d'airain vont avoir l’occasion de se la rappeler rapidement. Ces quatre années à la Maison-Blanche doivent être marquées d’une pierre noire et tout ce qui a approché de plus ou moins près l’incongru à tignasse jaune est, par définition, cas contact, susceptible d’être contaminé et, donc, de contaminer.

D’où, peut-être, cet avertissement du rédacteur en chef du grand journal économique Forbes aux entreprises qui auraient quelques velléités d’embaucher certains anciens collaborateurs du tyran déchu, notamment ses porte-parole. « Embauchez un de ces fabulistes et Forbes considérera que tout ce que votre entreprise relaiera est un mensonge. Nous allons scruter, vérifier et revérifier, investiguer avec le même scepticisme que lorsque nous lisons un tweet de Trump. Vous voulez vous assurer que le plus puissant magazine économique du monde vous considère comme une potentielle source de désinformation ? Embauchez ces personnes. » C’est clair. En gros, vous les recrutez, on vous fera la misère. Ce n’est pas du chantage mais c’est vous qui voyez…

Malheur au vaincu, donc.

Lorsque l’empereur de Constantinople, Andronic Ier Comnène, fut renversé en 1185, son successeur Isaac Ange le fit abominablement torturer. On lui coupa la main droite, le jeta en prison et, au bout de quelques jours, on lui creva un œil, puis on l’extirpa de sa geôle pour le trimbaler sur un vieux chameau à travers la ville dans une sorte de triomphe ridicule. Finalement, on le pendit par les pieds. Isaac II Ange refusa qu’Andronic soit enseveli au monastère des Quarante-Martyrs et laissa, dit-on, le cadavre de l’empereur déchu se décomposer dans la rue. Il fallait effacer de la mémoire collective le souvenir de l’ancien basileus. On va dire qu'à l'époque, les choses se faisaient radicalement, avec les moyens du bord. Depuis, on a fait de sacrés progrès. Moins de sang, plus d'efficacité - pardon, d'efficience.

En matière d’effacement de mémoire, à Rome, on pratiquait la damnation de mémoire post mortem . Cette mesure était votée par le Sénat et consistait à annuler les honneurs dont avait pu bénéficier le damné : effacement de son nom des bâtiments publics, destruction de ses statues, déclaration du jour de son anniversaire comme néfaste. Cela pouvait s’accompagner aussi de l’interdiction, pour sa famille, de porter son deuil, à sa descendance de porter son praenomen ou son cognomen. En principe, cette peine frappait les coupables convaincus de crime contre l’État. On connaît une vingtaine de grands personnages qui furent frappés de damnatio memoriae, notamment Marc Antoine, Néron ou encore Domitien, empereur de 81 à 96. Assassiné par des membres de la cour, il subit ce châtiment posthume. Une fureur, véritable frénésie destructrice, s’empara alors des sénateurs, à la mesure de la tyrannie qu’ils dénonçaient. « Quelle joie de jeter à terre ces visages superbes, de les briser avec la hache, comme si ces visages eussent été sensibles et que chaque coup eût fait jaillir le sang ! », écrivait Pline dans Panégyrique.

Dieu merci (s’Il y est pour quelque chose), nous sommes aujourd’hui en des temps de grande bienveillance. Alors, quel sort sera réservé à Donald trump ? Érigé en « honte nationale » par Joe Biden après le débat de septembre 2020, la balade en chameau à travers les avenues de Washington lui sera sans doute épargnée, mais la damnatio memoriae lui pend au nez. Vae victis.

12202 vues

10 janvier 2021 à 22:19

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.