Des baisers et des crécelles au Vatican
Ce baiser avait fait grand bruit. Au premier Sidaction, en 1994, Clémentine Célarié embrassait sur la bouche Patrice Janiaud, un jeune homme séropositif. Pourquoi ? La raison avouée était d’éradiquer les idées fausses sur la transmission du VIH. Aujourd’hui, dans un franglais de cuistre, ce serait « débunker des fake news ». Elle seule sait quelles étaient ses motivations profondes, mais pourquoi faudrait-il douter a priori de sa sincérité ? Le geste était beau, il montrait que notre fraternité humaine ne se déduit pas d’un statut sérologique.
Un autre baiser est entré dans l’Histoire. Celui de François Bernardone au lépreux, au début de sa conversion. Il est encore ce fils de famille, membre patenté de la jeunesse dorée d’Assise, et il passe outre le dégoût que lui inspirait cette maladie, si contagieuse que l’on isole ceux qui en sont atteints. Il descend de cheval, remet au lépreux une aumône et l’embrasse en plus. Voir dans chaque autre et surtout dans le paria une figure du Messie, de Jésus, c’est un des enseignements essentiels des Évangiles. Aimez-vous les uns les autres, ce n’est pas au sein d’un entre-soi étriqué. François Bernardone est devenu saint François d’Assise.
N’allez pas croire qu’ici serait faite une prédication contre l’hygiène et les gestes barrières, et la prophylaxie en général. Ne pas prendre n’importe quel risque inconsidéré est souhaitable, mais s’isoler dans une bulle, c’est condamner ses défenses naturelles à l’inaction, à la paresse. Le rapport bénéfice sur risque des camps scouts et de la vie militaire sur la robustesse du système immunitaire ont-ils été évalués ? L’intuition nous dit que Nietzsche a (cette fois-ci) raison : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »* Les mesures d’hygiène ne relèvent pas d’une logique booléenne mais de curseur.
Et puis il y a ce que nous constatons aujourd’hui, en ces temps de terreur sanitaire. La logique est devenue booléenne, c’est celle de l’exclusion de l’autre. En témoigne l’exigence sociale d’un passeport sanitaire dont l’obtention est conditionnée par un statut vaccinal ou un test négatif récent qui font fi du secret médical. C’est une crécelle moderne inversée, elle ne signale pas le malade mais le « conforme ». La Cité du Vatican, État souverain, vient de l’imposer à tous ses salariés et aux invités externes. Les premiers seront renvoyés chez eux sans être payés au cas où ils ne pourraient le présenter.
Le message se brouille. Le pape François a choisi son nom de règne, novateur (les cuistres diraient disruptif), en hommage au poverello d’Assise. Sa première encyclique, Laudato si', prend son titre au Cantique des créatures, œuvre de ce même saint. Il annonçait, mi-septembre, vouloir aider ceux qui résistent à l’injonction vaccinale, et son secrétaire d’État les bannit. Il casse le pont et bâtit un mur.
Et à bien y réfléchir, de quelle aide ont besoin les récalcitrants, les dissidents ? Face à un protocole vaccinal expérimental, ils sont en droit, au vu du Code de Nuremberg, de ne pas consentir à cet essai médical grandeur nature. Les médecins déchantent sur les bénéfices étriqués de ces produits, découvrent au quotidien l’ampleur des effets indésirables graves ou non, et les laboratoires s’exonèrent du risque financier via des clauses contractuelles léonines. L’infaillibilité pontificale serait-elle engagée sur l’évaluation favorable d’un ratio bénéfice/risque individuel et universel de ces prototypes de vaccins ?
Au Jeudi saint de l’an 2013, le pape François avait embrassé et lavé les pieds de douze jeunes détenus, dont ceux d’une jeune fille serbe et musulmane. Certains en furent choqués, et pourtant, quoi de plus normal ? Dieu n’aime pas moins les femmes et les musulmans que les hommes blancs hétérosexuels de plus de 50 ans et autochtones. L’injonction du Christ Jésus de se mettre au service de tout le reste de l’humanité s’adresse à toute l’humanité. Cette inclusivité-là est catholique, universelle.
* Le Crépuscule des idoles, 1888.
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