Déjudiciarisation à tout va : de minimis non curat praetor

La mode est à la déjudiciarisation. Derrière ce barbarisme se cache une réalité concrète : décharger les tribunaux de contentieux de masse, au profit de modes alternatifs de règlement des différends, ou de professionnels habilités. Et ce n’est pas toujours une bonne idée.

Le problème est simple : l’augmentation de la population, conjuguée à un accès aux tribunaux plus facile et plus fréquent, phénomènes auxquels il faut ajouter l’explosion des contentieux familiaux, aboutit à une saturation du système judiciaire. Conçue au XIXe siècle, peu réformée au XXe siècle, l’institution, dont les effectifs n’ont pas suivi la poussée démographique, est désormais incapable de traiter les dossiers dans un délai raisonnable.

En matière pénale, depuis plusieurs années, les infractions routières sont traitées sans passage devant le juge, sauf exception. L’objectif est de « faire du chiffre » sans encombrer les audiences. En matière civile, plusieurs domaines sont totalement saturés : les affaires familiales, les tutelles, les contentieux de la consommation, du locatif, du travail. En cause ? La fragilisation des liens familiaux, le développement de l’aide juridictionnelle ou de la protection juridique, la paupérisation d’une partie de la population, les difficultés des entreprises. Autant de raisons pour en appeler au juge. Parfois de manière abusive.

Les gouvernements successifs ont donc mis en œuvre des mesures à l’efficacité variable. Pour les divorces par consentement mutuel, le passage devant le juge est désormais remplacé par l’établissement d’une convention par les avocats, puis enregistrée par un notaire. Dans un style différent, il est désormais obligatoire de mentionner les démarches accomplies pour régler le contentieux avant de saisir la justice, une obligation non sanctionnée et, donc, inefficace. Par ailleurs, les tribunaux multiplient le recours à la médiation, avec un succès mitigé. Autant de manières de ne pas rendre de décision. Enfin, en cas d’appel d’un jugement, les règles de procédure se sont fortement complexifiées, avec pour objectif inavoué de dissuader certains plaideurs d’exercer leur droit de recours.

Cette politique appelle, cependant, plusieurs réserves. La principale est de l’ordre du principe : le juge est, dans notre conception occidentale, à la fois le garant des libertés et l’arbitre chargé de rétablir chacun dans ses droits lorsqu’ils sont bafoués. Confier une partie de sa mission à un autre constitue une sévère entorse à ce principe fondamental. On peut, ensuite, se poser la question des causes : comment se plaindre de la saturation des juges familiaux lorsqu’on facilite le divorce au point d’en faire un véritable contrat de "démariage" ? Lorsqu’on nie l’altérité et la complémentarité des parents et qu’on détruit insidieusement, chaque jour, la notion même d’autorité parentale, à l’école par exemple ?

Enfin, ne négligeons pas une approche quantitative du phénomène : nombre de contentieux n’ont aucune raison d’être, et ne sont portés devant le juge que parce que de nombreux avocats sont disponibles, à bas coût – voire gratuitement, en cas d’aide juridictionnelle. Alors qu’il leur appartiendrait de refuser certains dossiers, leur situation économique ne le leur permet pas. La question concerne évidemment la profession qui, à ce jour, refuse de réguler les entrées au barreau.

De minimis non curat praetor[ref]Le préteur ne s'occupe pas des petites affaires.[/ref], disaient les Romains. Au lieu de supprimer les juges, demandons-nous pourquoi de si petites choses leur sont soumises. Cela revalorisera leur rôle et contribuera à la paix sociale.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois