De grâce, Éric Zemmour, un peu de mesure…

Zemmour

J'ose dire qu'Éric Zemmour est un ami et il n'y a pas un jour où, sur Twitter, je ne sois pas obligé de me justifier, comme s'il y avait là quelque chose de honteux. À vrai dire, le talent et l'intelligence de qui on est proche sont plutôt une chance qu'un opprobre.

On a d'autant plus envie de tenir cette ligne quand, par exemple, on lit cette absurdité que Zemmour « légitime la délinquance de la pensée », sauf si on considère qu'une pensée libre, dans le climat actuel, serait précisément un délit !

Il n'empêche qu'on n'est pas contraint d'approuver tout ce qu'il écrit, notamment dans le domaine de la Justice où, pour une fois, son esprit abandonne son audace pour se couler avec délice dans le lit d'un conformisme dominant.

Dénonçant comme il le fait, dans son dernier billet du Figaro Magazine, « cette justice française qui donne le permis de tuer », il sait qu'il va s'attirer tous les suffrages de ceux pour lesquels la Justice est une chose simple alors qu'elle est une activité complexe.

J'ai déjà moi-même ressenti, partout où j'ai l'honneur de pouvoir parler et d'être lu, combien mon soutien même extrêmement nuancé à ce qui devrait être le service public de la Justice et à l'institution m'attire mille critiques qui vont jusqu'à l'insulte. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je remarque que la grossièreté est à la hauteur de l'ignorance de la matière !

Éric Zemmour est très agaçant parce qu'il traite de son sujet avec une ironie sarcastique et indignée, qu'il est alors à son meilleur et que pour l'essentiel on ne peut que lui donner raison.

Le parcours de cet Afghan qui, à Villeurbanne, a tué un jeune homme de 19 ans et blessé huit personnes est en effet d'une absurdité ubuesque puisque, malgré le caractère erratique et préoccupant d'une pérégrination de neuf ans de pays en pays - France en 2009, Italie, Norvège, Allemagne puis retour en France en 2016 -, une identité incertaine et une situation qui aurait appelé pour le moins prudence et abstention de validation, on lui a octroyé, au mois de mai 2018, le droit d'asile avec une carte de séjour temporaire renouvelable un an, expirant au mois de janvier 2020 (Le Figaro sous la plume de Jean Chichizola).

Tout en n'ayant jamais été personnellement menacé en Afghanistan, il a pu bénéficier de cet asile de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en vertu d'une protection subsidiaire accordée aux étrangers venant de pays en guerre, selon une définition extensive donnée à cette condition par la Cour nationale du droit d'asile.

Il y a là, je ne peux que l'admettre, une dérive, une dénaturation de l'État de droit s'enivrant d'une générosité dispensant, dans le brouillard le plus total, garanties et facilités à des individus douteux.

Apparemment, le droit d'asile est dévolu sans que rien - le passé, la confusion des identités, l'instabilité - puisse dissuader de cette mansuétude administrative.

Mais, aussi aberrantes que soient toutes ces péripéties, la Justice n'a pas donné « le droit de tuer ». Que les ressorts des crimes soient de nature terroriste ou, plus vraisemblablement, à caractère psychiatrique - sans que les deux soient forcément à distinguer -, il n'est pas juste d'imputer à la Justice l'entière responsabilité de ces crimes en occultant le fait qu'entre l'asile et eux, il y a eu précisément le tueur et sa liberté dévoyée qui a créé le pire.

Par quel triste réflexe imputer alors à la Justice une culpabilité qui n'est pas la sienne pour, en forçant le trait, l'accabler encore plus que nécessaire ?

Je ne voudrais pas chipoter, certes, autour ce qui est de toute manière un drame odieux et multiple, mais au risque de continuer à subir l'affront réservé à une vérité totalement minoritaire, je répugne à céder.

Depuis longtemps, je suis très inquiet face à un double populisme face à la Justice : celui des élites intellectuelles et médiatiques et celui du commun des citoyens. L'institution, les magistrats sont traînés dans la boue et mal défendus sinon par un corporatisme syndical pire que l'offense, tant son effet est désastreux dans l'opinion.

Je regrette que la Justice soit malmenée à cause de ses dysfonctionnements, de ses erreurs indiscutables, jugée comme si elle n'était créatrice que de cela sans que jamais on mette sur l'autre plateau de la balance tout ce que la société lui doit. Solidaire avec la police sur ce plan, elle pourrait rétorquer qu'aucune autre profession de prestige, de pouvoir et d'autorité ne sortirait saine et sauve de la mêlée avec un traitement aussi partial !

De grâce, Éric Zemmour, un peu de mesure ne messiérait pas à votre verve, votre talent et votre intelligence !

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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