« Les commerçants en liquidation sont complètement ruinés, spoliés et enfin expulsés ! »

-Gabrielle : Les commerçants en liquidation sont complètement ruinés, spoliés et enfin expulsés !

Martine Donnette est une ancienne commerçante qui a perdu sa boutique. Depuis vingt ans, elle se bat contre les grandes surfaces. Son livre entend ouvrir les yeux des élus et des consommateurs, et informer les "petits" commerçants.

Martine Donnette, votre livre s’intitule Seule face aux géants. Vous y relatez votre combat contre les grandes surfaces qui dure depuis le début des années 1990. Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

On a voulu écrire ce livre pour expliquer le fonctionnement des commissions départementales d'aménagement commercial et des commissions nationales d'aménagement commercial.

Vous êtes une ancienne commerçante et avez perdu votre boutique à la suite de votre conflit avec Carrefour. Depuis vingt ans, vous dévouez votre vie à la lutte contre les grandes surfaces. Pourquoi les grandes surfaces doivent-elles être combattues aujourd'hui par les petits commerçants que vous représentez ?

Nous voyons bien que les expansions et les extensions de la grande distribution ne se font pas dans les règles et ne respectent pas la déontologie du commerce. Nous constatons que tous les dossiers comprennent des fraudes. La réglementation n'est pas respectée. Il est important, pour les commerçants, d'être au courant de leur fonctionnement.

Cela fait vingt ans que vous êtes en procédure multiple avec les grandes surfaces. Que leur reprochez-vous ? Comment avez-vous vu le non-respect des lois par les grandes surfaces ?

Nous savons que la loi n'est pas respectée lorsque les dossiers, même incomplets, sont présentés devant les commissions.
Les services préfectoraux ne sont pas assez vigilants à la réception des dossiers pour refuser ceux qui sont mal montés.
Une fois ces dossiers acceptés, ils permettent de frauder sur les plans locaux d'urbanisme et les plans de prévention des risques.

Vous avez créé une association qui s'appelle En toute franchise. Cette association a pour but de prendre la défense des commerçants. Avez-vous calculé le nombre d’amendes que les grandes surfaces doivent à l'État ?

Si la grande distribution payait toutes ses infractions, l'association estime qu’elle devrait payer 418 milliards d'euros.
Cette somme se justifie par le nombre de mètres carrés qui ont été dénoncés aux préfets, aux instances et aux mairies.
Personne n'a bougé pour que ces infractions soient sanctionnées.

On est frappé par l'aspect presque stratosphérique de ce chiffre de 418 milliards d'euros…

Oui, bien sûr.
La grande distribution a plus de quatre millions de mètres carrés de surface illicite. Il faut savoir qu'un m2 illégal est puni de 150 euros par jour d'infraction.
Avec 2.000 m2 de surface illicite, par exemple, les sommes sont astronomiques.

Que retirez-vous de ces vingt ans de procédure ? Où sont les failles du système et les complicités ? Qu’avez-vous découvert ?

Le préfet ne vérifie pas et ne contrôle pas les surfaces illicites. Si, toutefois, il les vérifie, la Justice ne s'enclenche pas comme elle devrait s'enclencher.
Les sanctions ne sont jamais prononcées à l'encontre des fraudeurs.

Êtes-vous bien accueillie auprès des petits commerçants ? Prennent-il fait et cause pour votre combat ? Etes-vous soutenue et vous demandent-ils de l'aide ?

Les commerçants sont déboussolés lorsqu'on leur parle d'un problème juridique général comme celui de l'amende de 418 milliards.
Ils font rapidement le parallèle entre le fonctionnement d'un hypermarché qui se trouve près de chez eux et d'autres centres commerciaux.
Par exemple, à Genay dans le Rhône, un centre commercial a une superficie de 2.000 m2 qui n'a pas d'autorisation. Au départ, c'était un problème d'extension du centre commercial, mais après avoir fouillé dans le dossier, on s'aperçoit de l'illégalité de la déclaration de la surface.

Comment expliquez-vous cela ? Y a-t-il une complicité entre l'État et les grandes surfaces ? Ou est-ce la faute du législateur ?

Il y a bien une complicité entre l'administration et la grande distribution.
On peut parler d'un dysfonctionnement.
Aujourd'hui, nous avons des preuves grâce à l'aboutissement d'un dossier complet.
Le préfet a été enjoint par le tribunal de faire les contrôles, mais il ne les fait pas entièrement et n'applique pas la loi. Il devrait demander la fermeture des surfaces illicites mais ne le fait pas.

On a du mal à comprendre comment les maires peuvent soutenir l'insertion des grandes surfaces dans la mesure où la plupart se plaignent de voir leur centre-ville se vider… Comment interprétez-vous cette espèce de complaisance ainsi que cette passivité des maires vis-à-vis des grandes surfaces ?

Les maires ont un double langage.
Leur centre-ville se paupérise. Un taux de vacance de 25 % s'explique par la fermeture de nombreux locaux.
Pourtant, ils continuent de donner des autorisations d'ouverture de grandes surfaces alors que cela va, justement, accentuer le problème de la désertification des centres-villes.
Il s'agit bien d'un double langage.
Les maires se demandent comment ils vont résoudre le problème. Puis, cinq minutes plus tard, ils vont aller en commission et vont donner une autorisation.
C’est clair, soit ils ne savent pas gérer, soit ils mentent pertinemment à leurs commerçants indépendants !

Vous aviez lancé un appel aux candidats à la présidence de la République française au moment des élections. Qu'aimeriez-vous dire aux politiques aujourd'hui ?

En premier lieu, nous avons envoyé trois courriers à monsieur Macron.
On lui demande la transcription totale de la directive européenne.
Cela permettrait à l'administration française de contrôler immédiatement les surfaces illicites de la grande distribution. Il s’y refuse.

La directive européenne dit que la grande distribution ne doit pas porter atteinte aux droits fondamentaux des commerçants. Or, on ne s'occupe pas du devenir des commerçants qui sont en liquidation judiciaire. Ils sont complètement ruinés, spoliés et enfin expulsés.
Les élus n'en ont rien à faire.

Et, enfin, les décisions sont discriminatoires. On donne des autorisations à des établissements qui ne paient pas leurs impôts en France.
Le commerçant indépendant va avoir 65 % de charges, alors que ces autres sociétés ne payent pas les mêmes charges en France que le commerçant indépendant.
C'est discriminatoire.

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