[Cinéma] : Leila et ses frères, le premier chef-d’œuvre de Saeed Roustaee

leila

L’an dernier sortait en salles La Loi de Téhéran, un polar nerveux et soutenu sur la lutte antidrogue au pays des mollahs. Bénéficiant d’une mise en scène riche et de longues joutes verbales chargées de tension, le film fut encensé par William Friedkin en personne. Pour le réalisateur de French Connection, en effet, il s’agissait là de « l’un des meilleurs thrillers qu’il ait jamais vus ».

Fort de ce succès critique et populaire, le cinéaste Saeed Roustaee revient au bout d’un an seulement avec son film le plus abouti à ce jour, un drame familial aux accents tragiques, grande fresque de 2 h 40 qui tient de la littérature russe et fait la part belle aux personnages secondaires, aux scènes de groupe et aux dialogues passionnés. Réunissant, entre autres, les deux têtes d’affiche de La Loi de Téhéran, l’excellent Navid Mohammadzadeh et Payman Maadi, Leila et ses frères nous plonge dans les déboires financiers de la famille Jourablou dont les quatre fils sont au chômage, vivent sous le même toit parental et s’inquiètent légitimement pour leur avenir. Leur sœur, Leila, interprétée par Taraneh Allidousti (actrice connue pour ses collaborations avec Asghar Farhadi), pousse le plus apte d’entre eux, Alireza, à monter sa propre affaire : l’ouverture d’une boutique dans un centre commercial qui permettra à tous de sortir enfin la tête de l’eau. Une chance unique qui peut radicalement changer leur vie.

Écoutant leur sœur, la plus finaude de la fratrie – en dépit de la place inférieure qui lui est attribuée socialement –, chacun y va de ses économies, mais cela ne suffit pas ; la contribution financière de leur père Esmail serait évidemment la bienvenue. Malheureusement pour eux, et en raison de son âge avancé, le père est en passe d’être élu parrain des Jourablou, véritable communauté réunissant toutes les branches éloignées de la famille. Une position de prestige dont il rêve depuis le décès de son prédécesseur, qui nécessitera de sa part de mettre la main au portefeuille, de financer les mariages de tel ou tel cousin… Dès lors, l’incompréhension se fait jour parmi ses enfants : comment le père pourrait-il accepter de devenir parrain, de dilapider ses (maigres) économies alors que ses propres fils sont sans le sou, n’ont pas de travail, sont endettés et ne toucheront sans doute jamais la moindre retraite ? Le respect de la coutume doit-il se faire au détriment des siens ?

Tableau désenchanté d’une classe moyenne iranienne en voie de prolétarisation depuis les années Ahmadinejad, Leila et ses frères nous donne à voir la désunion au sein d’une fratrie partagée entre ses rêves d’avenir et le respect inconditionnel de la figure paternelle. Un père touchant mais d’une faiblesse coupable, davantage sensible au prestige et au paraître qu’au bonheur de ses enfants dont il feint (par lâcheté ?) de ne pas voir le complet dénuement.

Avec un tel discours, propice à toutes sortes d’analogies concernant le régime des mollahs, il n’est pas surprenant que le film ait été interdit de distribution en Iran. L’Organisation du cinéma a voulu, le 22 juin dernier, sanctionner le refus du réalisateur de procéder à des « corrections » exigées par le ministère de la Culture. Pour autant, Saeed Roustaee avait déjà fait le tour des festivals internationaux pour présenter son œuvre. Avec Les Nuits de Mashhad, que nous avions également recensé sur Boulevard Voltaire lors de sa sortie, Leila et ses frères est le deuxième long-métrage iranien à subir en ce moment les foudres de la censure. Un film d’une rare maîtrise, véritable chef-d’œuvre devant lequel on ne voit pas le temps passer.

5 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Amusant : « comment le père pourrait-il accepter de devenir parrain, de dilapider ses (maigres) économies alors que ses propres fils sont sans le sou, n’ont pas de travail, sont endettés et ne toucheront sans doute jamais la moindre retraite ? Le respect de la coutume doit-il se faire au détriment des siens ? »
    On change quelques mots : « comment le Président pourrait-il accepter de dilapider l’argent du pays en accueillant sans discernement des étrangers, alors que ses propres concitoyens sont sans le sou, n’ont pas de travail, sont endettés et ne toucheront sans doute jamais la moindre retraite ? Le respect de la coutume doit-il se faire au détriment des siens ? »
    Ça ne vous appelle pas quelque-chose ?

  2. Toute analogie avec la politique menée par le Président français actuel et son gouvernement ne serait que fortuite.
    Aidons les étrangers et les migrant avant de prendre soin de nos vieux et nécessiteux.

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