[Cinéma] Les Nuits de Mashhad, le film qui fait polémique en Iran
En juin dernier, le ministre de la Culture en Iran, Mohammad Mehdi Esmaili, condamnait publiquement le film d’Ali Abbasi, Les Nuits de Mashhad (Holy Spider, en version originale) et, de surcroît, sa sélection au Festival de Cannes 2022 : « C'est un mauvais choix, totalement politique, affirmait-il, qui vise à montrer une image noire de la société iranienne. Nous le condamnons totalement. Nous avons protesté auprès du gouvernement français. Ils n'ont pas le droit d'insulter un peuple et ses valeurs sacrées […] Nous prendrons certainement en compte à l’avenir cette question dans nos échanges culturels […] Si des personnes en Iran sont impliquées dans le film Holy Spider, elles seront sûrement punies par l'Organisation du cinéma d'Iran. »
En cause, l’objet même du long-métrage qui, sous prétexte d’aborder l’affaire Saeed Hanaei – un tueur en série condamné à mort au début des années 2000 pour avoir étranglé seize prostituées –, entend plus largement aborder la place des femmes dans la société iranienne et pointer l’indulgence d’une partie non négligeable de la population, à l’époque du procès, à l’égard du meurtrier. Lequel, motivé par sa foi religieuse, souhaitait purifier la ville sainte de Mashhad de ces « femmes corrompues »…
Produit intégralement par le Danemark, la Suède, la France et l’Allemagne, le film, de toute évidence, n’aurait jamais pu obtenir l’autorisation de tournage ni ses financements en Iran – les prises de vues se sont d’ailleurs déroulées en Jordanie, pays que le réalisateur estimait plus sûr que le sien ou que la Turquie, un temps envisagée.
Porté par un cinéaste émigré en Europe depuis vingt ans et une actrice principale, Zahra Amir Ebrahimi, réfugiée en France après avoir été interdite de travail par le régime des mollahs en 2006, Les Nuits de Mashhad avait tout, dès le départ, pour déplaire au gouvernement iranien.
Le film s’affiche, à première vue, comme un thriller classique dans la veine de L’Étrangleur de Boston ou du cinéma de David Fincher. La première partie du récit s’attache à confirmer cette filiation en relatant l’enquête (fictive) d’une journaliste ayant à cœur d’identifier le tueur qui sévit dans la ville sainte. Une entreprise ardue pour la jeune femme qui se heurte à la mauvaise volonté des autorités publiques, peu concernées manifestement par le sort tragique de ces prostituées. Cette partie du récit est sans doute la plus faible dans la mesure où le cinéaste révèle rapidement au spectateur l’identité du coupable, tend ainsi à négliger la dimension policière de son film et commet surtout l’erreur d’esthétiser la violence à coups d’images chocs et de gros plans sur les visages des victimes – une faute de goût pour le moins inacceptable.
Autrement plus intéressante, la seconde partie du récit aborde les suites de l’arrestation de Saeed Hanaei, la complaisance à laquelle il a droit au sein de l’opinion publique (hommes et femmes confondus), comme dans l’institution judiciaire islamique. La façon qu’a le personnage de retourner son procès contre les prostituées, de mettre les rieurs de son côté et de se réclamer sans cesse de sa foi religieuse achève de le rendre sympathique aux yeux de la population. Si bien que le spectateur ignorant de l’affaire s’interroge jusqu’au bout sur la possibilité d’une remise en liberté du tueur en série – c’est là toute la force du film. Ce doute persistant que nous ressentons sur la fin en dit long sur ce qui nous est montré depuis le début d’une société régie par la charia.
3,5 étoiles sur 5
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