Cinéma : BAC Nord, de Cédric Jimenez

BAC NORD

La polémique enfle depuis quelques jours. BAC Nord, le nouveau long-métrage de Cédric Jimenez, ne serait pas tout à fait au goût des journalistes de gauche. En sueur, affolé, Luc Chessel, de Libération, évoque avec terreur « cinquante nuances de droite » pour un film « démago et viriliste ». Le Monde, Télérama, Les Inrocks et les inoxydables Cahiers, bien sûr, lui emboîtent le pas, tous mobilisés contre les forces obscures qui entameraient la propreté morale de cette formidable fête qu’est le cinéma français.

Les mêmes ont encensé Les Misérables en 2019, ce « film de banlieue » au titre indécent et au discours particulièrement ambigu (lire notre article à ce sujet) dont le réalisateur, Ladj Ly, condamné en 2011 pour enlèvement et séquestration, est à présent soupçonné de blanchiment… Le film, évidemment, remporta le Prix du jury à Cannes, en 2019…

Plus digne que son prédécesseur, BAC Nord s’inspire librement d’une affaire survenue en 2012 dans les quartiers nord de Marseille lorsque dix-huit membres de la brigade anticriminalité furent épinglés par l’IGPN pour racket et trafic de stupéfiants. Les policiers, on le découvrit rapidement, ne firent jamais le moindre bénéfice sur ce trafic, la drogue saisie servait uniquement de monnaie d’échange auprès de leurs informateurs afin d’obtenir des tuyaux sur les gros voyous. Le procureur décida même d’abandonner les principales charges qui pesaient sur les accusés, c’est dire les proportions démesurées qu’a prises cette affaire. Quant aux journalistes, qui dès le départ s’en étaient donné à cœur joie dans les médias pour pointer la corruption policière, ils s’étaient bien gardés d’ébruiter les conclusions de l’instruction… Une injustice que le film de Cédric Jimenez ne manque pas de souligner. Tout comme celle dont s’est rendu coupable Manuel Valls, ministre de l’Intérieur de l’époque, en se montrant incapable de défendre sa police.

Sans doute le regard critique que porte le cinéaste à l’encontre des journalistes explique-t-il en partie les attaques dont BAC Nord fait l’objet dans la presse cinématographique - esprit de caste oblige. En partie, seulement, car, ne nous leurrons pas, ces attaques sont aussi et surtout animées par un sentiment profond de culpabilité des journalistes qui savent bien que leur aveuglement et leurs mensonges sur les banlieues sont à l’origine de la situation actuelle, et ceux-là refusent qu’on le leur rappelle.

Le film, en soi, se concentre sur trois policiers (fictifs) de la BAC et décrit la réalité de leurs conditions de travail, entre politique du chiffre conduisant à des arrestations négligeables de vendeurs à la sauvette, injonctions à faire profil bas face à la délinquance des cités et coups médiatiques soudains pour faire plaisir au préfet lorsque circulent, sur YouTube, des vidéos chocs traduisant la violence des quartiers nord.

Traités avec mépris par la population, mal considérés par leur hiérarchie, luttant à armes inégales, les flics en viennent alors à emprunter des chemins de traverse, des raccourcis pour pouvoir faire convenablement leur boulot, la fin justifiant à leurs yeux les moyens. Cédric Jimenez, qui s’est longuement entretenu avec la BAC Nord de l’époque pour la préparation du tournage, n’excuse pas les entorses à la loi, il les explique. Une subtilité que refusent de voir les détracteurs du film. Ces journalistes de gauche, finalement, sont pareils à ce pseudo-flic de l’IGPN auquel se frottent les héros du récit : ils ne cherchent pas à comprendre, ils affirment et condamnent, le visage fermé, avec ce rictus en coin qui laisse percer un sentiment de supériorité morale, un amour de soi immodéré, ne laissant aucune place au doute. Taper sur les flics est très facile, ils le font depuis cinquante ans et approuvent le cinéma qui va dans ce sens ; rien d’étonnant à les voir se ranger du côté des Misérables plutôt que de BAC Nord. C’est lâche, mais c’est de leur niveau…

Jimenez nous avait déçus avec La French (voir notre article à ce sujet) ; son nouveau film n’est pas non plus un chef-d’œuvre, mais son contenu, manifestement, suffit à en faire l’un des plus subversifs des vingt dernières années. On regrette simplement une propension à céder au spectacle, des accents marseillais intermittents et des choix musicaux un peu convenus.

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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