[Cinéma] A Man, crise identitaire chez les Japonais

Capture d’écran (5303)

Les Occidentaux, semble-t-il, ne sont pas les seuls à traverser une crise identitaire. Les pays d’Extrême-Orient, façonnés par la culture néoconfucéenne et son respect fondamental des rites, des traditions et du lignage, subissent tout autant l’influence du mode de vie américain et son libéralisme destructeur. Si bien que les Japonais s’interrogent à bon droit sur leur devenir collectif et sur la continuité historique de leur peuple, à l’heure où la culture nationale parachève son américanisation et où le pays connaît d’importantes vagues migratoires en provenance de Corée.

Conscient de cette réalité, le dernier film de Kei Ishikawa, A Man, sous couvert d’aborder le sujet des « jōhatsu », ces « évaporés » qui disparaissent dans la nature par centaine de milliers chaque année, dépeint une société japonaise qui se cherche et demeure attentive aux questions identitaires.

Double vie et faux-semblants

Adapté du roman éponyme de Keiichiro Hirano, qui a remporté en 2018 le prix Yomiuri – sorte d’équivalent japonais du Goncourt –, ce drame captivant aux faux accents policiers nous plonge dans une enquête d’un caractère particulier. Après le décès de son époux Daisuke, Rie croit faire la connaissance de son frère qui lui assure de façon catégorique que la photo posée sur l’autel du défunt n’est pas la sienne. Interloquée, Rie contacte alors un avocat pour déterminer l’identité réelle de l’homme qui a partagé sa vie toutes ces années durant et avec qui elle a eu une petite fille. S’ensuit un travail de recherche tortueux, avec moult rebondissements, révélations et faux-semblants. Cela, afin d’essayer de comprendre ce qui a bien pu pousser le défunt, le « faux Daisuke », à vouloir un jour disparaître et faire sienne la vie d’un autre. Un autre qui soulève également tout un tas de questions et dont le destin demeure une énigme… « Des tas de gens cherchent à nettoyer leur passé », lâche un faussaire à l’avocat qui, lui-même, en tant que Japonais de troisième génération (d’origine coréenne), voit son identité remise en question par cette affaire. Reconstituer le passé trouble du défunt, en effet, pourrait bien nous aider à comprendre la radicalité de son choix.

Bien plus qu'un thriller

Sobre, élégante, la mise en scène de Kei Ishikawa cultive les mystères de l’intrigue par une utilisation judicieuse des silences, de la lenteur, de l’espace et du vide. Le cinéaste excelle à composer ses cadres, souvent riches de signification, sans pour autant verser dans la futilité de l’exercice stylistique et tape-à-l’œil.

Faux thriller mais drame humain authentique, A Man – dont on regrette que le distributeur français ne se soit pas donné la peine de traduire le titre – prend le temps d’installer les bases de son récit foisonnant et nous offre, en outre, une séquence finale particulièrement bien sentie pour une œuvre qui a trait aux thématiques de la dissimulation, du mensonge et de la double vie.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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