[BD] Ce qu’il reste de nous : comme un requiem de la civilisation paysanne

Dans le monde des « petits Mickeys », tel qu’on disait jadis, Jacques Terpant n’est pas vraiment un parfait inconnu, tant son œuvre demeure éloquente à d’innombrables titres. Diplômé des Beaux-Arts de Saint-Étienne, il fait ses premières armes avec Yves Chaland et Luc Cornillon, duettistes de la BD alternative des années 80. Les deux participent à un album unique, Captivant, qui, malgré son second degré assumé, énerve alors un SOS Racisme tout juste né. Luc Cornillon, quant à lui, devient un habitué du groupe Jalons, connu pour ses pastiches et une sorte d’anarchisme de droite crânement revendiqué. Bref, Yves Terpant a été à bonne école, tel qu’en témoigne son compagnonnage, dès 2008, avec l’écrivain Jean Raspail, l’homme du Camp des saints, dont il adapte ensuite, en trois tomes, son roman Les Sept Cavaliers.
Raspail le voyageur, Terpant le paysan…
Ces deux-là étaient-ils faits pour se rencontrer ? C’est à croire, malgré tout ce qui pouvait les séparer. D’un côté, l’infatigable voyageur ayant chanté les charmes de nos Antilles françaises et la Patagonie lointaine, amoureux des peuples en voie de disparition ; de l’autre, le dessinateur enraciné dans son terroir. Car c’est bien de ça qu’il s’agit, dans Ce qu’il reste de nous, bande dessinée mettant à la fois en scène ses ancêtres et les quelques arpents de terre les ayant vu naître, prospérer, avant d’inéluctablement s’éteindre ; tels les Indiens alakalufs de Jean Raspail, dans son sublime Qui se souvient des Hommes… Soit un monde paysan, en ces termes résumé : « Je fais partie de cette génération qui a vu disparaître une civilisation qui avait duré dix siècles, une autre vient que je ne verrai pas », écrit l’auteur, en quatrième de couverture.
La transmission, bien commun des nobles et du peuple
Nous sommes à Hostun, village du Dauphiné, il y a mille ans. Au fil de 120 pages, Jacques Terpant va de siècle en siècle, nous contant six histoires distinctes, mais qui retracent l’histoire de cette terre jusqu’à notre triste époque.
Pour ce faire, il s’est plongé dans de savants ouvrages d’historiens, a écumé les archives départementales et les registres paroissiaux. Il y dépeint des gens humbles et des aristocrates qui le sont moins, mais demeure frappé par ceci, tel que confié à nos confrères d’Éléments : « La transmission était une obsession. Ce qui me frappe, c’est que, du noble en son château jusqu’au paysan, les valeurs et les préoccupations étaient les mêmes, la transmission du fief, que ce soient les riches mandements du seigneur ou la masure du paysan. Tout va dans le même sens. Les paysans comme les seigneurs ont leurs dynasties, avec leurs prénoms héréditaires. »
Cette société-là, à l’évidence, n’est plus. Rares sont les campagnes à être encore épargnées par les ronds-points et les centres commerciaux. Les urbains viennent les visiter comme ils se rendraient au zoo. C’est la manie du « plus beau village de France », sympathique initiative du néanmoins charmant Stéphane Bern, mais qui participe à la folklorisation de la cambrousse, devenue sorte de musée à ciel ouvert. À ce titre, il n’est pas anodin d’apprendre que Jean Giono est un des écrivains de prédilection de notre artiste. Comme lui, il s’agit d’un voyageur immobile. « Terpant, c’est un paysan », affirmait son ami Jean Raspail.
Bien sûr, la campagne sera toujours là. Mais les paysans qui lui donnaient son âme ? Pas besoin d’être sociologue pour voir que ces « territoires », tels que désormais surnommés par nos polytechnocrates, ne seront plus jamais ce qu’ils ont été, au fil des siècles. À cet égard, cette magnifique bande dessinée a une valeur testamentaire. D’ailleurs, ce sera le dernier ouvrage de Jacques Terpant : « Je veux choisir ma sortie. J’ai constaté chez bon nombre de dessinateurs âgés un déclin, un graphisme automatique, qui se raidit… Je ne souhaite pas connaître cela. »
Qui a dit que les paysans dessinateurs n’avaient pas, eux aussi, leurs élégances ? Un gars de la ville, ou un déraciné des mégapoles, sûrement.

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4 commentaires
Merci à Nicolas Gauthier … Et Pierre C n’ayez pas peur…il faudra bien un jour monter le chemin (référence à la dernière histoire de livre…)
Un livre « d’histoire » pour l’édification des jeunes générations. Qui ne connaitront jamais cette réalité paysanne.
J’ai commandé l’ouvrage de Terpant, dès sa sortie, à la maison de la presse du proche village. Elle est là, dans mon bureau, à côté de la table de travail. La couverture est magnifique, mais je n’ose pas encore la lire. J’ai peur de ce que je vais y trouver, je redoute le chemin de la sortie. Je vois nos campagnes s’enlaidir inexorablement, les élus n’ayant d’autres projets que d’y implanter des éoliennes, en élargir les petites routes de montagnes, en faire des zones à tourisme pour tous. Jacques Terpant est un témoin, et quel témoin…
Oui, mais qui sont les premiers responsables, sinon que le monde agricole qui a toujours appelé à voter pour leurs destructeurs: l’U.E et ses primes et chirac parce qu’il savait taper sur le cul des vaches