Bayrou et la fumée toxique du « conclave » des retraites

Les vrais sujets n’auront pas été abordés. Cependant, François Bayrou est toujours à Matignon.
Capture d'écran site Gouvernement
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È finita la comedia ! Le « conclave » des retraites touche à sa fin, sans fumée blanche : rien que du fumeux !

La stratégie politicienne de Bayrou

François Bayrou a finement joué. Au mois de janvier dernier, on ne prévoyait pas une longue espérance de vie à son gouvernement ; six mois plus tard, il est toujours à Matignon. Pour passer l’obstacle de la réforme des retraites, qui avait contraint à la démission son prédécesseur, Michel Barnier, à la suite d’une motion de censure, le Premier ministre a passé le " bâton merdeux " des retraites aux partenaires sociaux, c’est-à-dire notamment aux syndicats qui s’étaient opposés aux réformes Delevoye-Philippe et Borne. À eux de jouer !
Cette stratégie politicienne est habile ; mais, au bout de quatre mois de parlottes entre organisations syndicales et patronales, compliquées par les interventions contradictoires du gouvernement, rien n’est réglé – comme c’était prévisible.

Le tour de passe-passe de la Cour des comptes...

Le premier couac est venu de la Cour des comptes, à laquelle le Premier ministre avait commandé un « audit-flash » des retraites. François Bayrou, ancien Haut-commissaire au Plan, avait estimé le déficit annuel des retraites à plus de cinquante milliards d’euros, en prenant en compte ceux des régimes de la fonction publique. Les syndicats ont fait savoir qu’un tel chiffre constituait pour eux un casus belli. Le rapport de la Cour des comptes publié en février les a rassurés sur ce point, les déficits des régimes de la fonction publique y sont évacués en quelques lignes.
Les magistrats de la rue Cambon conviennent, certes, que le régime de la fonction publique de l’État est financé à hauteur de 75 % (soit 45,1 milliards d’euros) par la contribution de l’État et que le taux de cotisation employeur y est de très loin supérieur à celui en usage dans le secteur privé (78,28 pour les fonctionnaires civils et 126,07 % pour les militaires, contre 16,46 % au régime général). La Cour remarque aussi que cette différence entre les taux conduit à « isoler un montant de 42 milliards d'euros de surcotisations en 2023, dont 35 milliards d'euros pour l’État, qui devrait apparaître dans le besoin de financement du système de retraites » ; ces « surcotisations » sont, en réalité, une subvention d’équilibre déguisée. Mais, concluent les magistrats des comptes, « des différences structurelles » empêchent de comparer les régimes des fonctionnaires avec ceux du secteur privé. Passez muscade ! Une fois le plus gros du déficit évacué par ce tour de passe-passe, celui du régime général des salariés du privé, dont le déficit est aujourd’hui bien moindre (même si la Cour annonce sa croissance rapide à partir de 2030), est présenté comme « l’enjeu principal de l’équilibre financier du système ».

Sitôt le rapport publié, le ministre de l’Économie, Eric Lombard, s’est en effet précipité pour déclarer, le 21 février, que « le sujet important, aujourd'hui, c'est de regarder les retraites du secteur privé ». Mais alors, plutôt que le régime général (CNAV), que l’État gère en dépit du bon sens, pourquoi ne pas regarder le régime complémentaire des salariés du privé, l’Agirc-Arrco ? De l’aveu du ministre, celui-ci est « non seulement à l'équilibre, mais il y a un excédent très important, qui est de l'ordre de 80 milliards d'euros de réserves ».

Public-privé : le fond du problème (pas abordé !)

Qu’est-ce qui distingue l’Agirc-Arrco des régimes de la fonction publique ?
En premier lieu, les pensions servies aux retraités y sont calculées en fonction des cotisations qui rentrent (c’est ce qu’on appelle un régime à « cotisations définies »). L’Agirc-Arrco n’a pas le droit d’être en déficit et est tenu, au contraire, de constituer des réserves correspondant à plusieurs mois de prestations. Pour y parvenir, le régime prend, si nécessaire, des mesures qui peuvent être douloureuses pour les affiliés.
À l’inverse, dans le régime de la fonction publique de l’État (dit à « prestations définies »), le montant de la pension est fixé d’avance (à 75 % au minimum du dernier traitement pour une carrière complète) sans rapport avec les cotisations théoriquement engrangées. Ce régime étant chroniquement déficitaire, l’État – c’est-à-dire, in fine, les contribuables – comble le trou, creusant ainsi le déficit et la dette publics. C’est ce qui fait écrire à Pierre-Edouard du Cray, docteur en droit public et auteur de Retraites, l’impossible réforme (édité par l’association Sauvegarde Retraites), que les pensions de la fonction publique ne sont pas de véritables régimes de retraite répondant à une logique assurantielle, mais des traitements à vie déguisés (il n’existe d’ailleurs pas de caisse de retraite des fonctionnaires de l’Etat).

Capitalisation : le tabou

Autres différences, le régime Agirc-Arrco pratique de facto une forme de capitalisation, puisque les réserves constituées sont placées et engendrent un rendement ; et, par ailleurs, il fonctionne à points (acquis avec les cotisations et convertis en rente à la retraite).
En toute logique, pour revoir le système de retraite français, les partenaires sociaux, membres du « conclave », auraient dû s’inspirer du fonctionnement de l’Agirc-Arrco, qu’ils connaissent bien, puisqu’ils en sont les gestionnaires… Au lieu de quoi, les discussions ont tourné autour de la pénibilité et les retraites des femmes, thèmes récurrents des réformes paramétriques, pour éviter d’aborder les sujets plus sensibles (ce qui ne signifie pas qu’ils soient sans importance, il y aurait notamment beaucoup à dire sur les pensions de réversion). La controverse essentielle a concerné l’âge de départ à la retraite, alors qu’un régime à points devrait procurer aux assurés plus de souplesse et de liberté de choix à cet égard (le calcul des droits prenant en compte les cotisations versées et l’espérance de vie à la retraite).
En guise de solutions, comme de coutume, diverses mesures fiscales ont été évoquées, telles que la suppression de l’abattement fiscal de 10 % (plafonné) accordé aux retraités pour compenser la perte d’une partie de leurs revenus, la création d’une TVA sociale, ou une hausse de la CSG sur les retraites. Et « en même temps » comme on dit en macronie, le gouvernement promet la main sur le cœur et le portefeuille qu’il n’augmentera pas les impôts…

Au bout du compte, le « conclave » a fait chou blanc. Alors qu’il aurait dû se séparer le 17 juin, il a été prolongé jusqu’au 23 juin (les participants rechignant d’ailleurs à jouer ces prolongations) ; mais les vrais sujets n’auront pas été abordés. Cependant, François Bayrou est toujours à Matignon.
C’est l’essentiel ?

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Éric Letty
Journaliste

Vos commentaires

36 commentaires

  1. Notre système de retraite est ni plus ni moins une pyramide de Ponzy arrivée à terme. ( On emprunte pour payer les pensions. )
    Pourquoi les gueux n’ont-ils pas droit au système par capitalisation des fonctionnaires.
    Ubu au secours !!

  2. Puisque le système est en danger pourquoi continuer les mêmes mesures ? 1 ) supprimer les 42 régimes de retraites différents ? 1 seul et meme régime pour tous 2) imaginez un minimum et un maximum de pension retraite, et ceux qui ont un salaire important pourraient investir pour un complément selon leurs niveaux de vie dans ce qui se fait actuellement en defiscalisant dans différents produits. Idem nos sénateurs etc ont des avantages à faire pleurer le petit maçon qui doit bosser jusqu’à ce que mort s’ensuive, facile de bosser jusqu’à 80 ans quand on est gavé d’argent public d’avantages et de privilèges.

    • Vos propositions de solution sont intéressantes 1) Un seul régime pour tous (= Egalité comme sur les Mairies)
      2) Que chacun puisse se constituer un complément de retraite suivant ses moyen en prévoyant l’avenir, fût-il incertain. (= Liberté, ah oui, là aussi comme sur les Mairies)
      Et enfin un 3ème volet pour ceux dans la souffrance, assumé par la collectivité, et non pas réservé aux fonctionnaire et assuré par nos impôts, i.e. l’Etat (= Fraternité ! Tiens – tiens, étonnant non ? Où l’on retrouve l’objectif de la révolution) Voilà qui devrait plaire à tous !

  3. Mais oui , une retraite de premier ministre , ce n’est pas mauvais, même plus rentable que celle d’enseignant d’histoire ! ! ! Mais cela creusera encore plus le déficit …. Pensez donc , un départ en retraite tous les 6 mois ! ! ! Ca creuse ! ! ! Sans parler des autres parlementaires et ministres qui cumulent , Cela n’es pas dis dans la chanson , de la cour des comptes ! ! !

  4. que ce soit le bayrou , la cour des comptes ou l’opposition tout ce petit monde veut atteindre les vacances tranquillou , alors un seul mot d’ordre : faites pas chier le marin !

  5. « Conclave, conclave », ce mot affreux, qui, comme le baiser Lamoureux a le génie de mettre tous les hommes dans une lessiveuse jusqu’à ce que, désespérés, ils s’arrangent pour en sortir plus blancs que blancs, au sacrifice de leurs idéologie. Pensée primaire d’un béat béarnais qui baille aux corneilles. Sa spiritualité à l’étouffe-chretien croit au miracle. Et pourtant il a lieu : il tient encore à Matignon. Dieu est grand, il pardonne la médiocrité.

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