Alexandre del Valle : « Si les djihadistes ne sont pas rapatriés pour être jugés, ils vont se retrouver dans les flux de migrants »

Plusieurs familles de djihadistes retenus dans des camps kurdes en Syrie ont porté plainte contre le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour « omission de porter secours » en refusant de les rapatrier.

[toggle title="Lire la suite" type="close"] L'occasion, pour Alexandre del Valle, de faire le point, au micro de Boulevard Voltaire, sur les enjeux du rapatriement des djihadistes.

Des familles françaises de djihadistes retenues en Syrie portent plainte contre le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. C’est comme si on se retrouvait dans le vieux dilemme Droits de l’homme contre l’état de guerre...

Là, ce ne sont pas que les Droits de l’homme. On n’est pas à la Cour de justice européenne. On n’est pas non plus dans des instances droit-de-l’hommiste.
On est encore dans le droit français. C’est plutôt un recours contre l’État et contre l’excès de pouvoir. C’est une tradition des démocraties et c’est dans la Constitution française. Il y a toujours une possibilité pour un citoyen d’avoir des recours contre une autorité publique, l’État et le représentant de l’État. En l’occurrence, si on veut faire un recours contre une des décisions du ministre en exercice, il faut passer par la Cour de justice. C’est une mesure un peu exceptionnelle. Mais cela fait partie de l’État de droit.
Là où nos ennemis sont forts, où les islamistes sont forts, opportunistes et habiles, ils savent épuiser toutes les ressources de nos démocraties fondées sur le droit. Le droit peut paraître bête et méchant, parfois injuste, mais il permet aussi aux pires d’en tirer profit. C’est le propre des démocraties libérales. Même quelqu’un qui adhère à une idéologie totalement hostile, qui fait partie des forces ennemis ou même un violeur d’enfants, peut bénéficier de mesures juridiques pour être acquitté.


La Syrie et l’Irak sont deux pays souverains. Ils ont parfaitement le droit de juger eux-mêmes des gens qui les ont combattus sur leur propre sol…

Dans leur stupidité stratégique, et contrairement à l’Espagne qui n’a jamais rompu les ponts avec la Syrie, les Européens, les Occidentaux, les Américains, les Français et les Anglais ont rompu totalement leurs liens avec le régime de Bachar-el-Assad depuis le printemps arabe. Ils ont même rompu leur coopération sécuritaire et judiciaire.
L’État syrien est donc considéré incapable et illégitime pour juger des terroristes en Syrie. Il n’y a aucune coopération judiciaire avec la Syrie.
D’où ce paradoxe. La France traite aujourd’hui avec une milice kurde dans le nord de la Syrie qui détient des djihadistes et qui a lutté contre Daesh, entre autres. Plutôt que de passer par un État légal, et les autorités reconnues officielles d’un État, la France passe par une milice séparatiste en conflit avec ce même État syrien. C’est une situation assez paradoxale, parce que cela viole aussi le droit international. Le droit international n’a pour l’instant pas déchu Bachar el-Assad comme président de la Syrie. Il n’a pas non plus considéré que les Kurdes avaient remplacé l’État syrien.
Il faut savoir que l’Irak pratique certes la peine de mort. Mais, en moyenne, les peines pour des terroristes de base dont on n’a pas beaucoup de preuves ont pris moins de prison qu’ils n'auraient pris en France. L’Irak en a marre. Cela lui coûte très cher. Si on ne paie pas de nouvelles prisons et si on ne donne pas des milliards à l’Irak, il est probable que l’Irak expédiera un certain nombre de punitions. Pour deux ou trois peines de mort, il y aura essentiellement des gens acquittés ou qui prendront très peu de prison. Ils vont pouvoir s’évader de prisons beaucoup moins surveillées et moins sûres. Elles ont beaucoup moins d’argent et de moyens que les prisons françaises.
Les jugements seront plus expéditifs. Les Irakiens n’ont pas beaucoup de moyens. On ne pourra pas avoir les informations qu’on aurait pu avoir si on les avait rapatriés. Quand on juge quelqu’un chez nous, il y a une enquête et des interrogatoires et on obtient des informations.


Si un terroriste est emprisonné en Irak, y a-t-il de grandes chances qu’il disparaisse des radars internationaux et qu’on le retrouve du jour ou lendemain sur le territoire français sans qu’on ait pu garder des traces de lui ?

Le rapatriement n’est pas pour faire plaisir aux humanistes, c’est plutôt un rapatriement pour mieux juger et mieux lutter contre le phénomène. Si on ne les rapatrie pas, qu’ils sont jugés et qu’ils échappent à la peine de mort, ils vont se retrouver dans la nature. Avec de faux papiers, on va les retrouver dans des flux de migrants ou carrément dans les flux illégaux. Beaucoup de gens traversent la Méditerranée. Ils seront complètement sortis des radars et difficiles à repérer surtout s’ils sont venus par bateaux dans le sud de l’Italie, la Grèce ou par la Turquie par des voies terrestres. Ils sont très difficiles à repérer s’ils ne prennent pas l’avion.

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Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 08/10/2019 à 12:03.
Alexandre Del Valle
Alexandre Del Valle
Essayiste, géopolitologue

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