G5 Sahel : les raisons inavouées d’un échec (2/3)

afrique

On a vu ici que les causes de l’échec dans la lutte contre le terrorisme islamique ne relèvent pas d’un manque de moyens, mais de facteurs d’origine humaine. Dans des environnements opaques et corrompus, la confiance fait place à la défiance généralisée.

Or, cette situation nuit doublement au développement de l’Afrique : de nombreuses relations d’affaires tournent mal et véhiculent une image peu flatteuse des pratiques « à l’africaine ». De ce fait, un grand nombre de projets ne voient pas le jour faute de visibilité. Destruction de richesses d’un côté, manque à gagner de l’autre.

Si la criminalité économique et financière ne profite pas nécessairement ni majoritairement au terrorisme, elle en partage les conditions nécessaires à son développement et y trouve des débouchés. À l’inverse, le terrorisme a un besoin vital des fruits de la criminalité : besoin « d’argent frais » difficilement traçable pour se développer ; besoin de relais de déstabilisation des États par une fragilisation économique et une communication anxiogène, dissuasive pour les investisseurs.

Facteur aggravant : la dématérialisation-numérisation de l’économie. Présentée trop souvent sous l’angle unique des opportunités, elle expose des sociétés mal préparées à de graves failles et vulnérabilités que les criminels et les terroristes savent exploiter, mettant à disposition des ressources financières et logistiques croissantes et un écosystème criminogène qui attire les criminels étrangers (trafiquants notamment de drogue, mafias, criminalité organisée). Ainsi, même la « blockchain » pourrait se transformer en « black chain ».

Car les terroristes fondamentalistes ne sont pas mus par un manque de rationalité mais, au contraire, par un excès de logique rationnelle (1). Au niveau décisionnel, ils savent très bien capter et utiliser les ressources nécessaires à l’accomplissement de leurs fins, tout en manipulant des exécutants ignorants et fanatisés. Il est donc illusoire de penser et irresponsable d’affirmer que le rattrapage technique-numérique en marche forcée réglera le problème. Ou de prétendre à l’invulnérabilité des systèmes de sécurité. Le combat sans fin entre le glaive et le bouclier ne date pas d’hier.

Combiné à un sentiment d’injustice et de désespérance sociale, le fossé social et économique qui se creuse conduit vers des révoltes populaires et fait le lit du terrorisme. Et promettre « une Afrique en paix » sans en définir le contour ni le contenu est dangereux quand l’argent ne circule pas dans l’économie réelle. « L’émergence m’a tout pris », gronde l’immense majorité des exclus de la croissance, en quête quotidienne de moyens de survie.

D’ailleurs, le « reste du monde » est-il en paix ou en voie de pacification ? À l’évidence, non. Après tout, pourquoi ce continent échapperait-il, seul, aux turbulences d’une mondialisation irréversible et incontrôlée, théâtre d’affrontements ouverts ou feutrés entre États-nations par la puissance économique et son nerf de la guerre, la finance, l’info-domination, les normes et les standards, les modèles culturels et autres formes de soft power, ainsi que d’attaques non étatiques et de menaces asymétriques dont le terrorisme est une forme exacerbée d’extrémisme violent ?

Car « La paix n’est pas l’absence de guerre », nous dit justement Spinoza. Rechercher à tout prix une paix envisagée comme un état de calme sur une mer de tranquillité risque de décevoir les populations. Paix et sécurité ne sont pas compossibles en phase de développement ; viser les deux conduirait au paradoxe de « l’âne de Buridan », mort de faim et de soif faute d’avoir su choisir entre l’avoine et le seau d’eau. Il serait donc plus mûr et honnête d’admettre que la paix n’est pas, en soi, un objectif et que l’on ne peut raisonnablement viser qu’à contenir autant que possible l’insécurité à un niveau supportable.

Ce diagnostic en appelle à des discours responsables et à des choix de société.

1 Voir La Pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Gérald Bronner, PUF, 2016

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 16:20.
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Jean-Michel Lavoizard
Ancien officier des forces spéciales. dirige une compagnie d’intelligence stratégique active en Afrique depuis 2006

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