Alain de Benoist : « Le Pen et Zemmour n’ont ni le même électorat ni la même stratégie ! »

Alain de Benoît entretien écrit

Alain de Benoist, le philosophe et politologue bien connu des lecteurs de Boulevard Voltaire, est interrogé par Nicolas Gauthier au sujet de l'actualité politique.

Nous sommes maintenant à deux mois de l’élection présidentielle et, déjà, se dessinent au moins deux lignes politiques à la droite de la droite : celle d’Éric Zemmour et celle de Marine Le Pen. Quelles sont vos préférences personnelles ? Comment analysez-vous la situation ?

Les préférences personnelles nourrissent les dîners en ville, mais n’ont aucune importance lorsqu’il s’agit d’analyser les rapports de force. Si l’on veut parler sérieusement de la prochaine élection présidentielle, il faut se rappeler, d’abord, que dans une telle élection, on ne vote pas pour un parti mais pour une personnalité, ensuite qu’il ne s’agit pas d’un concours de beauté mais d’un scrutin où, pour être vainqueur, il faut réunir au moins 50 % des suffrages plus une voix. Les sondages peuvent y aider, en sachant qu’ils ne permettent que très imparfaitement de faire des pronostics, puisqu’ils ne nous renseignent que sur les résultats possibles de l’élection au moment où ils ont été faits. Les campagnes présidentielles sont généralement riches en surprises de toutes sortes : en deux mois, beaucoup de choses peuvent changer.

Le fait principal, aujourd’hui, est qu’Éric Zemmour n’est pour l’instant pas parvenu à se qualifier pour le second tour. Sachant qu’Emmanuel Macron campe sur un socle de 24-25 % des voix, la lutte décisive devrait donc opposer Valérie Pécresse et Marine Le Pen pour savoir qui d’entre elles sera présente à ce second tour. Le principal atout de Pécresse est la candidature de Zemmour, qui a été une « divine surprise » pour les LR : sans cette candidature, Pécresse n’aurait eu aucune chance d’être au second tour. Son principal handicap est un électorat mobile, qui peut rapidement fluctuer à son détriment.

À l’heure actuelle, Marine Le Pen mène par rapport à Pécresse, avec 17-18 % des voix contre 16-17 % (Zemmour plafonnant à 12-14 % des voix). Si elle est présente au second tour, les sondages la créditent de 46 % face à Macron (contre 37 % à Zemmour), ce qui est considérable puisqu’en 2017, elle n’avait obtenu au second tour que 34 % des voix. Si l’on s’en tient à ces chiffres, une victoire de Marine Le Pen est donc possible, sans pour autant être probable, tandis qu’une victoire de Zemmour paraît exclue. Tel est le rapport des forces aujourd’hui

 

Fondamentalement, selon vous, qu’est-ce qui distingue Zemmour et Marine Le Pen ?

Au-delà des différences de tempérament et de personnalité, et même des différences de programme, c’est qu’ils n’ont ni le même électorat ni la même stratégie.

Marine Le Pen s’appuie principalement sur les classes populaires, c’est-à-dire sur les milieux qui ne s’inquiètent pas seulement de leur insécurité culturelle, mais aussi de leur insécurité sociale : les menaces qui pèsent de plus en plus sur leur pouvoir d’achat les préoccupent tout autant que l’immigration et l’insécurité, dont elles sont les premières victimes. C’est la France des gilets jaunes, la France « périphérique », victime de la précarité et de l’inflation, qui ne parvient plus à boucler ses fins de mois, préoccupation qui n’est guère celle des électeurs de Zemmour. Pour l’essentiel, ces derniers appartiennent en effet à la bourgeoisie, aux milieux catholiques-conservateurs et nationaux-libéraux qui formaient déjà, en 2017, la majorité des électeurs de François Fillon (60 % de retraités aisés).

Les différences stratégiques en découlent. Marine Le Pen s’emploie à construire un « bloc populaire » – par opposition au « bloc élitaire » – dont le politologue Jérôme Sainte-Marie et le sociologue Christophe Guilluy, mais aussi Patrick Buisson, ont très bien dessiné les contours. Une telle stratégie repose sur l’idée que le clivage gauche-droite, dont tous les sondages montrent l’affaiblissement (70 % des Français estiment qu’il ne correspond plus à rien, puisque les gouvernements « de droite » et « de gauche » pratiquent tous la même politique), est de plus en plus remplacé par un nouveau clivage opposant le peuple enraciné aux élites mondialisées (les somewhere et les anywhere dont parle David Goodhart), la classe politique hors-sol et les Français attachés à leur sociabilité propre et à leur droit à la continuité historique.

Éric Zemmour cherche, au contraire, à rétablir le clivage gauche-droite en prônant l’« union des droites » (une union qui ne comprend toutefois ni les LR ni le RN). C’est dans cet esprit qu’il espère séduire à la fois les classes populaires et la « bourgeoisie patriote ». Mais c’est une tâche difficile. Outre que l’union des droites, dont on parle depuis plus d’un siècle, ne s’est jamais réalisée car les droites en question n’ont pas la même conception de l’homme ni de la société (comme l’ont montré d’innombrables études de science politique), Zemmour aura beaucoup de mal à convaincre la France périphérique que ses intérêts sont les mêmes que la France des beaux quartiers. Comme le disait ici même Jérôme Sainte-Marie, « vouloir additionner la bourgeoisie patriote et les classes populaires revient à demander à ces dernières de se solidariser des classes dominantes ». Les classes populaires, de surcroît, connaissent peu Zemmour, qu’elles considèrent souvent comme un simple polémiste parisien.

 

Les ralliements que Zemmour a enregistrés récemment (Damien Rieu, Jérôme Rivière, Gilbert Collard, etc.) peuvent-ils changer la donne ?

Certainement pas. Ils n’ont d’ailleurs pas fait bouger les sondages. Ce genre de choses n’intéresse que le micro-milieu politico-médiatique parisien. Pour la France profonde, ces transfuges sont des inconnus.

Et les autres candidats ?

À gauche, comme on le sait, c’est le grand marasme. Un combat de naines et de nains. Après la mascarade de la « Primaire populaire », Christiane Taubira, qui prétend unir la gauche comme Zemmour veut unir la droite, en ajoutant sa candidature à celles qui existaient déjà, prendra sans doute quelques électeurs à Yannick Jadot mais ne devrait pas dépasser 5 %. Fabien Roussel tente de relancer un populisme de gauche, créneau que Mélenchon a abandonné pour se rallier à l’indigénisme, mais il revient de trop loin pour espérer recueillir plus de 4-5 % des voix. Mélenchon peut monter, car c’est dans les campagnes électorales qu’il est le meilleur, mais pour l’heure il plafonne à moins de 10 %. Quant aux écologistes, qui pâtissent du désastreux bilan de leurs mairies, ils devraient atteindre à peine 8 %. On peut regarder ces querelles picrocholines comme l’entomologiste observe les insectes, mais il ne fait pas de doute qu’en avril prochain, c’est dans le camp d’en face que tout se jouera.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

70 commentaires

  1. Vous vous trompez complètement en croyant que Zemmour n’attire pas les déçus des LR et du RN, et quant aux sondages, rappelez-vous qu’ils annonçaient la victoire de Jospin !…

    • il faudrait connaitre le mécanisme des sondages. Pour Jean-Marie Le Pen, ils avaient sous évalué ses voix car ses électeurs cachaient leurs intention de vote Depuis, les sondeurs avaient mis en place une correction pour les votes FN ou RN Cette correction existe-t-elle toujours alors que les électeurs de Marine ne cachent plus leurs intentions ?

  2. Bizarres ces prédictions…Autant l’analyse de la faiblesse actuelle de « la gauche », parait solide, autant les circonvolutions relatives au camp « patriote » semblent trahir la dynamique actuelle de lélectorat français.
    Qui vivra, verra..

  3. Très bonne analyse. La stratégie de debauchage de Zemmour envers le RN ne peut etre perçu que comme une OPA hostile sur le RN et MLP. Ce qui veut dire qu’il ne peut plus y avoir d’union entre EZ et MLP. En conséquence, l’objectif de EZ m’échappe complètement. Sur ce forum, beaucoup de pro EZ. Mais cela ne vous gêne pas que EZ veuille refaire un remake des erreurs du FN historique qui ne l’ont jamais amené au pouvoir ?

    • Ce n’est pas Zemmour qui débauche. Ceux qui se rallient à lui ont leurs raisons. On a les soutiens et les défections qu’on mérite. Zemmour ne refait pas les erreurs du FN. Il n’a pas les mêmes méthodes, il s’est préparé et maîtrise les sujets, car lui, il veut vraiment le pouvoir.

  4. Marine Le Pen ne gagnera jamais, n’ayant que l’électorat populaire, et, étant promise au cordon sanitaire du « front républicain »….. Elle ne sera toujours que le  » joker  » pour faire gagner l’autre adversaire. Le jeu pervers mis en place par Mitterrand fonctionne…et fonctionnera…..tant qu’elle sera candidate ….
    Quant aux sondages…. souvent mirages …. Ils ne peuvent servir d’argumentaire mais tentent de reproduire….ce que les Français ne veulent plus : un duel Le Pen/ Macron.

  5. Ce résonnement repose sur une analyse des sondages. Le socle de Macron est trop stable pour être réel, et l’absence de campagne de MLP fait ressembler le RN à une coquille vide.
    Le duel Macron Pécresse est le plus probable, et à ce jeu il faudra que les LR choisissent entre les conservateurs et la continuité anti-nationale.

  6. Monsieur de Benoist, vous vous trompez complètement sur l’électorat d’Eric Zemmour. J’ai voté Jean-Marie LP et Marine LP et je voterai maintenant Eric Zemmour, pour la raison qu’il est plus ferme sur ses convictions et sa ligne de conduite et qu’il me semble avoir le « punch » que MLP n’a pas.

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