L'avion n'a pas toujours réussi à certaines de nos personnalités politiques. Jusque-là, Emmanuel Macron avait échappé aux méfaits possibles de l'élévation. Malheureusement, revenant d'Israël et s'entretenant avec trois journalistes, il s'est « crashé » sur les plans intellectuel et judiciaire et, en cette saison qui ne lui réussit pas, il n'était pas vraiment nécessaire d'ajouter une épreuve dans la désolation.

Pourtant, au sujet de l'affaire Halimi, alors qu'il aurait dû se taire, il a parlé. Lui qui, si souvent, par une coquetterie inutile, refuse de s'exprimer quand le sujet le regarde, a décidé de donner son avis quand il n'aurait pas dû. Au-delà de la constatation que notre Président se fait une gloire de ne pas emprunter les sentiers battus, on ne peut que condamner son intervention.

Je n'ose imaginer le tintamarre réprobateur - auquel j'aurais mis ma modeste pierre - qui aurait surgi si Nicolas Sarkozy ou François Hollande s'était permis cette immixtion choquante dans le cours d'une procédure judiciaire qui défraye la chronique depuis tant de mois.

Emmanuel Macron, en effet, s'est cru autorisé à évoquer « un besoin de procès » alors que le meurtrier de Sarah Halimi a été jugé pénalement irresponsable et que, surtout, la Cour de cassation doit se prononcer prochainement sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction.

C'est une grave faute de la part d'un président de la République qui ne cesse de faire accroire qu'il échappe, lui, aux pièges dans lesquels ses prédécesseurs sont tombés.

Ce qui n'est déjà pas admissible de la part d'un grand rabbin de France - mon billet du 28 décembre 2019 : « Affaire Halimi : le grand rabbin de France n'avait pas à s'en mêler » - est absolument interdit à un président de la République.

Pourquoi celui-ci s'est-il aventuré sur un terrain qui aurait dû lui demeurer étranger, par « déontologie présidentielle » ? Parce que probablement a-t-il été incapable de résister à la vanité d'offrir sa réponse à une question posée sur cette affaire - et qui aurait dû susciter une fin de non-recevoir.

Tout ce qui relève d'un processus judiciaire en cours doit demeurer hermétique, étranger à un président de la République qui, à l'exception des étranges modalités de nomination du procureur de la République de Paris, avait su donner l'impression de se maintenir là où il devait être.

Il convient de distinguer ses observations philosophiques sur le caractère du procès de ses critiques directement reliées à l'affaire Halimi et qui offensent l'exigence de retenue présidentielle.

Il faut les rattacher à ce qu'il avait déclaré à Jérusalem : « J’ai reçu tant de lettres, entendu tant d’émoi, vu tant de rage, de colère, à l’idée que, au fond, la justice ne soit jamais faite et ne puisse passer. » Contrairement à cette assertion proférée devant un public qui en avait besoin et voulait l'entendre, justice pour l'instant est faite et elle le sera encore bien davantage quand la Cour de cassation aura tranché, quel que soit son arrêt. Il poussait encore plus loin sa complaisance à l'égard de ses hôtes en soulignant qu'il admettait « le besoin de procès », relevant le « besoin que toutes les voix s’expriment [et] se disent afin que l’on comprenne ce qu’il s’est passé ».

Il concluait que « la question de la responsabilité pénale est l'affaire des juges ». Il la limite trop et oublie la sienne qu'il a en partage avec eux : ils ont, les premiers comme le second, en charge la responsabilité de l'État de droit, notamment avec ce principe, supérieur à la revendication des victimes, de l'absence de tout procès quand le criminel est sorti, lors de son acte, d'une complète rationalité.

Face à ses propos à terre puis en vol, je suis tristement conduit à estimer qu'il est retombé dans son péché habituel : à l'étranger, il dit ce que l'étranger désire entendre et ainsi - j'assume l'outrance - il a joué contre la Justice française. Sans le courage d'une parole indépendante ou moins clientéliste.

Le tollé qu'il a suscité bien au-delà de la magistrature était d'autant plus évitable qu'Emmanuel Macron rappelait qu'il n'avait « pas à commenter une décision de justice ni à prétendre la remettre en cause ».

Au vrai, il a fait pire.

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27 janvier 2020 à 9:15

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