Affaire Halimi : le roi est nu et il ne le sait pas
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« Quand le droit ne permet pas de rendre la justice, il faut changer le droit. » Ce pourrait être un sujet de philosophie ; ce n’est qu’un aphorisme de M. Macron. Sa portée a donc une valeur relative, électorale si l’on préfère, celle d’une phrase destinée à l’oubli.
L’assassinat de Sarah Halimi par Kobili Traoré, sur fond de propos antisémites, l’arrestation de son auteur et l’ouverture d’une procédure judiciaire ont laissé croire, pendant quelques mois, à une décision de condamnation. La personnalité et l’origine de l’assassin, sa religion et les circonstances du crime, tout démontrait que l’antisémitisme contemporain est largement islamiste. C’était oublier l’article 122-1 du Code pénal, aux termes duquel la responsabilité pénale est exclue lorsque l’auteur a agi sous l’emprise d’un état psychique ayant aboli son discernement. Ce principe, interprété par la Cour de cassation, empêche de juger Traoré.
Le véritable scandale ne vient pas de l’application d’un texte ancien et connu, mais de ses conditions d’application : la bouffée délirante de Traoré s’explique par sa consommation de cannabis, c’est-à-dire par un fait dépendant de sa volonté constitutif d’une infraction pénale. En suivant ce raisonnement, l’ivrogne auteur d’un accident de la route ne pourrait pas être poursuivi. Kobili Traoré est donc libre. Libre d’être sous l’emprise d’un nouvel état psychique ayant aboli son discernement.
M. Macron souhaite donc changer la loi. Comme il n’est pas question d’abolir l’article 122-1 au risque de condamner des fous comme des criminels endurcis, la question est : de quelle manière ?
La loi pourrait être précisée : nul ne peut invoquer les dispositions de l’article 122-1 s’il s’est volontairement mis dans une situation propice à l’abolissement de son discernement. Inévitablement, la notion de volonté sera tranchée par la Cour de cassation : que signifie « volontairement » ? Faut-il, alors, être beaucoup plus précis ? Au risque de heurter, la réponse est non. La loi n’a pas vocation à déterminer tous les cas, elle énonce un principe qu’il appartient au juge d’appliquer. Aussi loin qu’on aille dans la précision, il restera toujours une marge d’appréciation et d’interprétation.
Gardons-nous de l’excès inverse, qui consisterait à laisser au juge une latitude totale pour décider, selon sa conscience, si tel ou tel individu est responsable ou non. Tout est question de mesure et d’état d’esprit.
À un scandale qui provoque l’émotion, le pouvoir répond par l’émotion. Il faut toujours changer la loi pour répondre à un cas particulier. À ce jeu-là, nos codes hypertrophiés deviennent illisibles, la loi inapplicable, les juristes incapables d’une analyse correcte, les professeurs sans voix face à un écheveau juridique impossible à décrire, à expliquer, à enseigner. « Il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu'il arrive, il n'y faut toucher que d'une main tremblante » (Montesquieu).
M. Macron veut changer par la loi ce qui relève d’un état d’esprit. Lui et ses amis, et tant d’autres avant eux, ont puissamment contribué à diffuser la culture de l’excuse, de l’assistanat, de l’individualisme, de la victimisation. Il n’est pas surprenant que les juges considèrent qu’un excès de cannabis peut entraîner l’irresponsabilité pénale, parce que cela correspond à l’état d’esprit d’une société délitée, sans repères et sans autres barrières que la volonté individuelle. Changer la loi n’y changera rien. C’est d’une révolution culturelle qu’il s’agit. Elle ne se décrète pas par un pouvoir à la légitimité douteuse et à la compétence discutable.
Empêcher d’autre scandales Traoré relève d’une philosophie politique disparue en France. En 2021, le roi est nu, et il ne le sait pas.