À l’Opéra, les « racisés » ont eu gain de cause : fin des tutus et des chaussons roses ?
L’Opéra de Paris, qui rassemble les salles de La Bastille et de Garnier ainsi que la prestigieuse école de danse, compte 1.800 salariés. C’est une institution qui croquait, en 2020, plus de 93,9 millions d’euros de subventions publiques pour 230 millions de budget annuel, soit presque la moitié des ressources de la maison. Une maison mal en point après des mois de grève, en 2019, et une pandémie mortifère pour les arts depuis un an.
Reste que la question économique n’est pas ce qui préoccupe la grande maison. Non, c'est celle du racisme qui l’agite. Enfin, façon de parler, parce que rien ne s’agite plus, aujourd’hui, sous les cintres, entre cour et jardin…
À l’heure où l’on déboulonne les statues, où l’on réécrit l’Histoire, nettoie la littérature classique et expurge même Le Club des cinq (les héros de ma petite enfance !) de tout ce qui pourrait contrevenir à la nouvelle cancel culture, la maison se penche sur le sort des « racisés ».
En juin dernier, cinq danseurs métis, inspirés par le mouvement Black Lives Matter, publiaient sur Instagram des photos sous le hashtag #blackdancersmatter. S’ensuivit un manifeste signé par 400 salariés, publié fin septembre, dans lequel ils réclamaient « la fin des blackfaces » (grimage en noir), le nettoyage de certains ballets (déjà débaptisés pour la plupart), l’abolition « du mot “nègre” et de ses déclinaisons dans des appellations historiques, comme “Le Carré des négresses” (évoquant un espace du palais Garnier), pourtant officiellement rebaptisé “Carré des cariatides” » ainsi que l’adaptation des tenues de scène à la carnation de chacun, notamment les collants et les chaussons de pointe. À comprendre que le tutu et les chaussons roses sur une peau brune, « ça l’fait pas ».
Alexander Neef, le patron de la grande maison, a accédé à leur demande et commandé à deux personnalités incontestables en cette matière de réfléchir au sujet. Pap Ndiaye et Constance Rivière ont donc été chargés d’établir un rapport sur « la diversité » à l’Opéra de Paris. Rapport rendu lundi et commenté aussitôt par Alexander Neef lors d’une conférence de presse.
Un mot sur les rapporteurs, enfants chéris du Parti socialiste et de la Hollandie. Le cas de Pap Ndiaye (frère de la romancière Marie Ndiaye, prix Femina et prix Goncourt) est particulièrement intéressant en ce que cet historien, bardé de diplômes prestigieux, est, de son propre aveu, « un pur produit de la méritocratie républicaine » qui n’a découvert la question raciale qu’au cours de ses études aux États-Unis. Il est ainsi devenu le pionner des Black studies sur notre sol.
Constance Rivière fut, auprès de François Hollande, conseillère institutions, société et libertés publiques puis, à partir de 2016, conseillère spéciale chargée de la Culture et de la Citoyenneté. Elle est, aujourd’hui, secrétaire générale du Défenseur des droits.
Les rapporteurs ont repris les revendications des personnels : en finir avec les maquillages et les tenues inadaptés, bannir les « représentations coloniales » dans le répertoire, briser le plafond de verre qui empêcherait les danseurs de couleur d’accéder au firmament où brillent les étoiles…
Alexander Neef a dit oui… mais. Pas question de « censurer », « un travail de contextualisation est important. Cela ne veut pas dire qu’on va réécrire les livrets », dit-il. Acceptons-en l’augure.
Déjà, La Danse des négrillons a disparu de La Bayadère, remplacée par La Danse des enfants depuis bientôt dix ans. On réclame de mettre aujourd’hui au programme des œuvres plus significatives, celles du chevalier de Saint-George, par exemple : né des amours du maître et d’une servante esclave dans une plantation de Guadeloupe, cette célèbre « figure de l’émancipation des esclaves des empires coloniaux » était compositeur, violoniste et chef d’orchestre.
Question : les non-métis seront-ils autorisés à danser sur sa musique ?
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