À défaut de se renouveler, les lieux culturels vont rouvrir…

théâtre

Des mois sans culture, et que de jérémiades a-t-on pu entendre sur la privation, la souffrance insupportable qu’enduraient les acteurs de ladite culture, et le moins drôle n’était pas d’entendre les pires censeurs, arroseurs devenus arrosés, se lamenter encore plus fort d’être privés de ce dont ils privent les autres à longueur d’année. Les autres, qui vivent un confinement perpétuel ! Comment, on nous empêche de travailler, d’exister, nous les artistes officiels, les directeurs estampillés DRAC, nous ne serions pas essentiels ? Eh bien, non, vous êtes les petits valets d’un pouvoir qui vous méprise et vous tient par la barbichette de votre vanité. Alors, ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ! Telle pourrait être la morale de l’histoire, elle sera vite oubliée…

Le ronron va reprendre, la bouillie qui a remplacé l’art, le bouillon de culture où cuisent tellement de navets, car cette pause forcée qui aurait dû faire réfléchir n’a fait réfléchir personne, l’important, c’était de continuer, que la punition finisse, alors on prend les mêmes et on recommence les mêmes ritournelles ; il faut vite faire bouger les momies, car on voyait déjà les bandelettes moisies d’un corps en décomposition…

Dans les opéras, on reprendra les mêmes mises en scène du même répertoire, Falstaff remettra son caleçon et ses supports-chaussettes, la Marguerite de Faust retournera passer son échographie, Carmen va pouvoir tuer à nouveau Don José, l’apoilisation et la masierotisation des chanteurs et des acteurs, comme sortis tout droit du Cap d’Agde, reprendront leur cours, pour la minute iconoclaste que condamnera le facho réac et qu’applaudira le bobo progressiste - on va vraiment se poiler !

Dans les théâtres, le grand fleuve tranquille de la bien-pensance subventionnée, médiatisée, césarisée, moliérisée, tétanisée, momifiée, va couler à nouveau, l’entre-soi d’un microcosme formaté va se remettre à tourner, au rythme du tic-tac de son horloge monocorde, la gauchitude racisée, genrée, décolonialisée, culpabilisée, repentantisée, va porter les créations officielles et le Festival Py d’Avignon. Après l’Europe, la montée du populisme, la lutte contre l’homophobie, la transphobie et la xénophobie, quelle nouvelle merveille pâtissière va nous servir le plus ministre que le ministre de la Culture ? Démarrage en fanfare, proclame tel théâtre parisien, et l’on annonce la même chose faite par les mêmes officiels…

Dans les musées, les lieux historiques où l’on agrémentera les chefs-d'œuvre du patrimoine avec les dernières idioties de l’art contemporain, les cars bourrés de touristes vont arriver et les professionnels du tourisme (la dernière activité de notre pays) se frotteront les mains, diront les reportages de France 2 et 3 ; et pour que tous puissent être avec le seigneur et l’esprit de consommation, les supermarchés ouvriront même le dimanche après-midi et le lundi de Pentecôte pour la messe des promotions made in China.

Et les cultureux et les pédagogues, tous parqués avec leur masque à gaz à un pour trois fauteuils vont retrouver le ronron de spectacles questionnants qui ne questionnent rien et dérangeants sans déranger personne…

Et pourtant, il y a comme un air bizarre, comme si plus rien ne devait être comme avant, comme si l’on avait entrevu, pendant tous ces mois, l’inanité de cette culture, de ce rabâchage conformiste, éculé, d’un monde qui se croit essentiel alors qu’il n’est plus qu’une coquille vide, déconnecté de tout ce qu’est l’art authentique, une sorte de commerce, de supérette de la médiocrité, et qui marche inexorablement vers une faillite annoncée. Quelque chose est cassé. Comme le début de la fin, le chant d’un cygne en carton-pâte, l’instant avant l’aube et le premier frémissement vers un théâtre en liberté.

Jean-Pierre Pélaez
Jean-Pierre Pélaez
Auteur dramatique

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