1959, la nuit de l’Observatoire : 12 – Mitterrand est poursuivi pour outrage à magistrat

mitterrand

Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de L'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.

L’opinion publique, pas plus que la classe politique, ne sont convaincues, loin s’en faut, de l’innocence de Mitterrand (lire épisode 11). Le 28 octobre, Gaston Defferre a demandé solennellement que toute la lumière soit faite sur les complots. Mais l’enquête de la justice bute sur l’immunité parlementaire du sénateur de la Nièvre. Car Mitterrand est poursuivi pour outrage à magistrat.

Le soir de l’attentat, lorsque la police est arrivée sur les lieux, le sénateur est sorti de sa cachette, s’est fait connaître et il a fait en vain avec les fonctionnaires le tour du quartier. Ils ont ramassé ensemble des douilles de 9 millimètres sur les lieux de l’attentat. À l’image du Figaro, la presse et la police sont alors convaincues que « s’il était resté à l’intérieur, Mitterrand aurait certainement été touché par l’une des quatre balles qui ont perforé la carrosserie ». La suite a montré que les représentants de l’ordre public, puis le magistrat auprès duquel il avait déposé une version similaire, n’avaient eu qu’une part de la vérité.

Mitterrand a gagné la presse amie, semé le doute dans l’opinion, cantonné à l’extrême droite ceux qui l’accusaient. Mais tout cela n’aura servi à rien si son immunité parlementaire tombe. Il lui faudrait alors faire face au juge qui trancherait selon le droit et non en fonction d’une popularité en convalescence, soignée par des médias amis.

Le 18 novembre 1959, au terme d’une intense préparation d’artillerie de la presse amie, Mitterrand joue donc son avenir face à ses pairs du Sénat. Les élus l’entendront puis voteront pour ou contre la levée de son immunité parlementaire et l’autorisation des poursuites.

Dans cette tragédie nouée ainsi face aux représentants du peuple, les mots ont, une fois encore, tous les pouvoirs. L’avocat rode, depuis des semaines maintenant, ses arguments auprès des médias. Toute la mécanique diabolique dressée contre lui comme une machine spectrale a pris ses contours définitifs. Il a rassemblé ses fidèles. Il a évidemment passé des nuits sur son texte, choisi chaque verbe, ménagé chaque effet, calculé chaque virgule. L’éloquence de Mitterrand au Sénat est époustouflante.

« Comment l’opinion pourrait-elle comprendre la levée de l’immunité parlementaire autrement que comme une pré-condamnation ? », demande Mitterrand. « Où est l’outrage ? », insiste-t-il. « Ne vous laissez pas manipuler comme je l’ai été moi-même. Ne tombez pas, vous aussi, dans les filets du complot. Le gouvernement, le parquet, de vastes puissances de presse attendent de vous le signe qui me frappera. » L’homme politise encore et toujours le dossier, le grandit patiemment. Derrière la demande de levée de son immunité parlementaire, il ne voit pas le procureur, mais le garde des Sceaux lui-même, Edmond Michelet, et un gouvernement tout entier. Un gouvernement déloyal, qui a intrigué pour l’abattre.

Les sénateurs chancellent quand cet homme attaqué de toutes parts, par la police, la justice, la politique, caricaturé, moqué, sali, quand cet homme qui leur a raconté son calvaire se lance à la poursuite de ses ennemis politiques et déchire à belles dents, une fois encore, le pouvoir et l’extrême droite. Le temps s’arrête quand Mitterrand lance sa conclusion d’une voix sourde dans l’enceinte d’un palais du Luxembourg plein à craquer, de l’Hémicycle jusqu’aux tribunes : « Pourtant, croyez-moi, j’ai dépassé l’heure de la colère et celle de l’amertume. Pourtant, voici revenue, surgie des espérances de la jeunesse, l’amie fidèle des jours d’épreuves. Elle est là, elle ne me quitte pas. Comment l’appellerai-je, sinon par le nom qu’elle porte, la douce paix intérieure, celle de la conscience ? » Les sénateurs sont groggy. Mitterrand leur a bien inoculé le doute qui profite à l'accusé. On procède au vote. Le Sénat refuse, par 162 voix contre 117, la levée immédiate de l’immunité parlementaire de François Mitterrand. La Haute Assemblée demande une nouvelle enquête en commission. Son éloquence a sauvé le sénateur Mitterrand. (À suivre...)

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

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