1959, la nuit de l’Observatoire : 11 – La droite pilonne à la chambre… en vain

mitterrand

Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.

En portant le débat sur la politique intérieure, en quittant les faits pour le choc partisan (lire épisode 10), Mitterrand impose à ses adversaires de combattre sur son terrain. Face à lui ne se dressent qu’une extrême droite politiquement faible et quelques journaux marginaux. Sur le papier, la stratégie de l’ancien garde des Sceaux est imparable. La réalité n’est pourtant pas aussi simple et l’extrême droite ne lui fait pas de cadeau.

Le 27 octobre, lors des questions au gouvernement, Pascal Arrighi, député gaulliste de Corse (et futur député du Front national), se lève à la droite de l’Hémicycle et tonne dans son accent chantant : « La semaine dernière, un personnage aujourd’hui discrédité a affirmé que j’étais un assassin ! » Arrighi fait dans la foulée de Mitterrand « un cagoulard notoire, spécialiste en faux attentats et en vraie provocation ». Il rappelle qu’il fut décoré de la Francisque sous le n° 2331 et qu’il avait pour parrain un autre cagoulard, M. Jeantet. « Ce spécialiste du faux attentat, ce procureur de la Renaissance italienne n’hésite pas à présent à inciter au crime et, parlant comme si l’on était en République populaire, il en appelle aux tribunaux du peuple ! » Il faut bien une question, tout de même. Alors, Arrighi demande, dans un Hémicycle en effervescence, quelles sont les mesures envisagées par le président de l’Assemblée pour défendre les parlementaires diffamés par Mitterrand. Le climat politique est incandescent.

Le 28 octobre dans l’après-midi, Biaggi et Le Pen accompagnés de leur avocat Maître Castille sont reçus par le procureur de la République. Ils ne réclament rien moins que la peine de mort, arguments juridiques à l'appui.

Rivarol ne désarme pas. Dans le même numéro, l’hebdomadaire annonce la « Suite de nos révélations sur le MYTHERRAND ». En page 3, Robert Pesquet apparaît en photo : veste, cravate, cigarette, œil résolu derrière des lunettes à fines montures, large carrure. Il fait une nouvelle révélation. Pesquet a posté une autre lettre le 14 octobre, deux jours avant l’attentat, cette fois à son complice Dahuron. Il l’a confiée elle aussi à la Justice qui l’ouvrira selon les procédures dans quelques jours, mais il en dévoile déjà le contenu. Il a écrit : « Je viens de quitter Mitterrand qui m’a demandé d’organiser contre lui un attentat – manqué, naturellement – afin de provoquer du gouvernement des réactions violentes contre les ultras. »

Les ultras, que Mitterrand a en effet désignés. Pourtant, la stratégie de Mitterrand porte ses fruits. L’extrême droite, ses leaders et ses journaux, sont seuls. Que valent face à l’opinion le petit Rivarol et deux députés poujadistes ? Quel est leur poids politique ?

Le 1er novembre, L’Express réplique et livre un portrait de Mitterrand par François Mauriac. La semaine suivante, dans sa chronique, Mauriac revient avec sa sensibilité d’écrivain catholique sur cet homme qui « aura payé très cher d’avoir été moins fort que ses ennemis eux-mêmes l’avaient cru. Et moi je lui sais gré de sa faiblesse […]. Mitterrand demeurait capable de faire confiance à un homme taré qui feignait de se livrer à lui. »

Dans le même numéro [1], le grand leader de la gauche, celui qui prenait tant d’espace politique, celui face auquel Mitterrand cherchait la lumière, selon Pesquet, apporte une note décisive. Pierre Mendès France explique sans donner le moindre détail qu’il a vécu des circonstances similaires. Il a été en danger. Un repenti l’a prévenu. Jamais, ajoute Mendès France, il ne livrera son nom, quitte à être inculpé d’outrage à magistrat. Invérifiable, mais une chose est sûre : Mendès France fait bloc. Un peu plus loin, Jean Cau défend à nouveau Mitterrand sans réserves sur plusieurs pages. L’affaire de l’Observatoire est sur la pente descendante. Mitterrand a gagné la partie. Peu à peu, la presse lève le pied. (À suivre)

[1] L’Express, 8 novembre 1959.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

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