Du bon usage français du Brexit

Par-delà les mièvres mesquineries comptables de M. Barnier, notre pays doit désormais - dans l'intérêt de la France et de l'Occident - jeter sur le Brexit un regard stratégique, prospectif et créatif. La dernière parution hebdomadaire remarquable de La Lettre de Léosthène (Hélène Nouaille) vient nous rappeler les données et les vrais enjeux du Brexit. D'une autre dimension et d'une autre portée que ceux que ne veut y voir la Commission.

Tout d'abord, il est onirique d'imaginer, comme l'a fait Hubert Védrine, que les Britanniques pourraient redevenir le 28e membre de l'Union européenne. Emporté par sa rêverie, M. Védrine se risque même à une dérive antidémocratique du type Lisbonne : le Parlement anglais déferait ce que le peuple britannique a fait. Il est surprenant qu'un ancien diplomate connaisse si mal nos voisins. Quant à l'argument selon lequel les Anglais pourraient se résigner au reenter parce que l'exit serait trop compliqué, il est carrément surréaliste ; un propos qui trahit bien qu'il n'est pas juriste.

À court terme, deux questions importantes se posent mais, à moyen et long terme, la France et le Royaume-Uni devront rapidement réfléchir à leur destin commun, bien plus qu'avec l'Allemagne.

Les deux questions importantes concernent la circulation des marchandises et la circulation des personnes. Cette circulation ne sera plus "libre" au sens des traités européens. Mais rien n'interdit une réinsertion de la Grande-Bretagne dans l'espace économique européen, ou l'Association européenne de libre-échange (AELE), comme c'est le cas de la Suisse et de la Norvège. Si Juncker (qui ne s'exprime plus en anglais mais en français et en allemand) et Barnier freinaient ce processus par esprit de rétorsion, rien n'empêcherait le Royaume-Uni de négocier séparément avec chacun de ses voisins, au premier rang desquels la France. Notre pays, pour des raisons historiques, géostratégiques et géographiques, commettrait une très lourde faute (hélas possible) s'il s'y refusait, sur diktat allemand.

Pour la circulation des personnes, les Britanniques sont délivrés des accords européens sur les "migrants" (mot stupide d'imprécision) : Calais a de quoi s'en faire car ces déracinés ne lisent pas les journaux et commencent à nouveau à s'y entasser.

Quant aux travailleurs détachés ou à la question des ressortissants d'Europe centrale, il faut distinguer les nouvelles entrées, qui vont se tarir, et les résidents, question il est vrai plus délicate mais pour la solution de laquelle personne n'a besoin de Barnier. Si le Royaume-Uni a besoin de main-d'oeuvre polonaise, il suffira de revenir aux visas et aux permis de travail pour des travailleurs choisis et qualifiés. C'est, d'ailleurs, ce qu'explique Mme Nouaille dans sa note, se référant à la dernière note officielle du Home Office. Les Anglais veulent maîtriser les flux d'entrée et de sortie de leur île. Sage réflexe pour des raisons tant économiques, sécuritaires que sociologiques, que l'usine à gaz bruxelloise prétendait empêcher.

Reste la cardinale dimension géostratégique. D'un côté, un voisin avec qui nous sommes en paix et allié depuis deux siècles, puissance planétaire (comme la France), nucléaire (comme la France), siégeant au Conseil de sécurité (comme la France), ayant une capacité de projection militaire et un savoir-faire d'OPEX (comme la France). De l'autre, un voisin qui nous a fait trois terribles guerres d'agression en soixante-dix ans, jaloux de notre puissance politique (ayant fait échouer l'Union méditerranéenne), qui entendrait nous la faire payer économiquement, qui s'est placé sous la tutelle militaire américaine, a poussé - couvant le très discutable régime ukrainien - à nous brouiller avec la Russie.

Pour river le clou, la lettre de Mme Nouaille cite une spécialiste de l’École de guerre qui entrevoit le risque réel que la France, se plaçant délibérément sous chaperon financier allemand, brade sa liberté militaire, financière, stratégique et diplomatique, industrielle - comme pour Airbus - et d'armement (le nouveau fusil d'assaut). Mais le choix d'Emmanuel Macron semble déjà fait.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:03.
Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

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