Tout le monde savait, mais chacun se taisait…

Dans une petite commune du Languedoc, des années 60 aux années 80, sévissait un instituteur pédophile et violent.

Ma maison natale se situe dans le voisinage immédiat de l'école publique dans laquelle cet homme a pu traumatiser toute une génération d'enfants, et ceci en toute impunité. Ma grand-mère maternelle disait: "Lorsque Basseterre hurle (nom fictif), les vitres tremblent."

Tout le monde savait, mais chacun se taisait. Faire en sorte que son propre enfant passe sa scolarité sans trop d'« encombres » était le fil conducteur. Peu importe si le fils de son voisin est un souffre-douleur, si la fille de "Dupont" subit des attouchements, pourvu que pour votre progéniture cela ne se passe pas trop mal.

Le mantra d'une grande majorité de la population, afin de refouler au plus profond d'elle-même la vérité et se donner bonne conscience, était : "Basseterre est un très bon instituteur et un remarquable éducateur sportif."

Il est vrai que ses méthodes d'enseignement étaient plus proche de celles d'Édouard Bled que du pédagogisme cher à Pierre Bourdieu. Et comme ancien champion du monde militaire, il a fait de la plupart de ses élèves de brillants sportifs. L'excellence professionnelle d'un chirurgien justifierait, en quelque sorte, de ne pas le juger pour des violences faites à sa femme...

Oreilles décollées, touffes de cheveux arrachées, mains glissées dans le short des jeunes filles qui préparaient l'épreuve sportive du certificat de fin d'études, tableau tournant envoyé dans la figure des élèves qui faisaient le tour de la classe en répétant "Je suis un âne", brimades et humiliations à répétition, utilisation de la faiblesse des jeunes élèves pour se moquer du "cancre", correction de la dictée complaisante pour les jeunes filles les plus "dociles", et ainsi faire de leurs parents des "alliés", faisaient de cette école publique de village un petit enfer.
Le soir, à la tombée de la nuit, nous voyions passer des parents portant un panier de légumes au tortionnaire, pour acheter sa clémence.

La secrétaire de mairie avait obtenu, grâce à l'appui du maire conseiller général, le changement d'école pour sa fille qui était une des victimes.

Mais quelle ne fut pas la surprise d'une maman qui était venue se plaindre en mairie des agissements de l'instituteur. La secrétaire de mairie, Mme Sombre (nom fictif), lui aurait dit alors sans sourciller, qu'à sa connaissance il n'y avait pas de problèmes avec le maître d'école.

Cette cruelle histoire s'est terminée en apothéose pour ce bourreau d'enfants. Les parents d'élèves ont eu l'indécence de fêter son départ à la retraite.

Quelle est la moralité de cette histoire ?

Le silence, dans quelque affaire que ce soit, autant pour le drame que constitue un inceste dans une famille, un harcèlement sexuel dans une entreprise, que la pédophilie dans les écoles, est une lâcheté ordinaire et quotidienne pour ceux qui voient, qui savent ce qu'il en est. Le fondement de cette lâcheté réside souvent dans le fait que dénoncer pourrait avoir un impact sur la paix familiale, sociale, sur son rapport avec les autres ou bien encore sur sa réussite personnelle.

Les affaires Strauss-Kahn et Weinstein sont le résultat de ce silence-là : une lâcheté ordinaire et quotidienne. Le mantra claironné par nos médias était du même ordre pour ces deux sinistres personnages que celui proféré dans mon village au sujet de Basseterre. C'est un brillant économiste pour l'un, c'est un grand serviteur du cinéma pour l'autre.

Il faut avouer qu'aujourd'hui, notre monde politico-médiatique est plus à l'aise pour tomber à bras raccourcis sur l'Américain que ce que, hier, il l'a été avec l'ami Strauss-Kahn. Mais le deux poids deux mesures, avec les nouvelles lois qui ne manqueront pas de sortir, a de beaux jours devant lui dans notre pays.

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