Ce 3 avril peut être salué comme une sorte de célébration de notre identité malheureuse, une manière de fête nationale à l'envers. Notre pays a connu des grands moments et des désastres. Ce matin, un syndicaliste de la SNCF se réjouissait que le mouvement de grève lancé par les cheminots coïncide avec l'anniversaire de 1968. Un autre rappelait la victoire syndicale de 1995. Il y a des pays où l'on fait des réformes salutaires. En France, on commémore avec fierté des révolutions, même celles qui n'en étaient que des simulacres pour jeunes bourgeois qui s'ennuyaient, opportunément récupérés par des syndicats moins soucieux de l'état du pays que de leurs résultats aux élections professionnelles.

Il y a, dans notre pays, une espèce de jouissance du chaos, et d'autant plus forte que le désordre ne repose que sur lui-même, sans la moindre cause objective, comme le besoin périodique de Saturnales, ces fêtes où l'on inversait les rangs et les valeurs. On compte, ce matin, les trains qui ne circulent pas, les travailleurs qui ne travaillent pas, les voitures qui ne roulent plus dans les bouchons qui doublent d'heure en heure. On attend avec gourmandise combien d'universités vont être bloquées, et on sait déjà que tous les avions d'Air France ne décolleront pas.

La grève sinueuse des cheminots qui va serpenter pendant trois mois peut-être dans la vie des Français, en contournant le prétendu service minimum, a, avant tout, pour but de créer un niveau de gêne maximum. Elle se fait dans le service public et pour le service public, mais résolument contre le public.

Pourquoi cette grève a-t-elle lieu ? D'abord, pour maintenir un statut, c'est-à-dire une protection, qui est en France, le pays des droits de l'homme et de sainte Égalité, un privilège sans compensation. Certains employés de la SNCF ont des horaires de travail qui perturbent leur vie personnelle et familiale. C'est le cas, aussi, pour de nombreux salariés du privé. Et ils n'ont pas de statut ! La compensation logique du statut, c'est-à-dire la garantie de l'emploi à vie, devrait être l'interdiction de la grève. Quant aux conditions plus que favorables de la retraite des cheminots, elles ne reposent sur aucune justification de pénibilité. Bien au contraire !

Alors, on en arrive à cette aberration que la grève dans le service public est la plus facile à déclencher et la plus douloureuse pour les Français. On a même pu parler de grève par procuration : ceux qui ne devraient pas faire grève parce que, ce faisant, ils pénalisent le pays tout entier pour sauvegarder des avantages catégoriels, font grève pour ceux qui n'ont ni les moyens ni la possibilité de le faire. La part des Français qui soutiennent le mouvement est légèrement minoritaire (46 %) mais c'est déjà beaucoup quand on sait que la "réforme" gouvernementale est, elle aussi, un mot trompeur, puisqu'elle ne change rien au statut actuel des cheminots.

Mais ce mensonge de part et d'autre nous indique où est tombé, une fois de plus, le niveau politique du pays : celui d'un poker menteur. L'enjeu n'est évidemment pas l'intérêt général, le bien commun de la France, dont tout le monde se fout. C'est de savoir si Macron sera l'homme des réformes que la droite a été incapable de réaliser ou si son échec permettra de retrouver une situation politique plus conforme à la réalité du pays. Le Président, élu par surprise, est un acteur de talent qui n'a pas franchi les étapes du parcours qui donne à un homme politique sa véritable légitimité. La victoire contre le mouvement actuel, fût-ce au prix d'un référendum, comme le voulait Fillon, lui donnerait cette épaisseur qui lui manque. La France se trouverait ainsi engagée dans le mouvement d'effacement progressif dans l'Europe technocratique et le mondialisme des affaires qui sont l'horizon d'Emmanuel Macron. Fameux dilemme, pour un pays, de se trouver ainsi coincé entre Charybde et Scylla, entre En Marche et Grève !

2844 vues

03 avril 2018 à 12:55

Partager

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.