Il y a le paysage officiel, ce que la Justice montre d'elle-même et qui, contrairement à ce que pensent des contempteurs compulsifs, n'est pas médiocre et mérite d'être expliqué et défendu.

Il y a, sur le plan des apparences, des avancées considérables. Non seulement par rapport à ce que j'ai pu connaître comme magistrat en quarante années de carrière mais au regard de la simple observation politique qui permet de distinguer un État de droit dévoyé sous la présidence de Nicolas Sarkozy et une normalité judiciaire favorisée par François Hollande et Christiane Taubira à l'égard de laquelle, pour l'essentiel, j'ai pourtant économisé mon indulgence.

Aussi surprenant que ce constat puisse apparaître pour beaucoup qui préfèrent leurs préjugés à une réalité qui les contredirait, nous n'avons pas pâti de 2012 à 2017, pas davantage avec les premiers mois d'Emmanuel Macron, d'une justice politique dans le mauvais sens du terme.

Il y a une Justice qui, dans sa transparence - limitée par le secret de l'enquête et de l'instruction - et avec son visage public, n'est pas indigne de ce qu'une démocratie se doit d'exiger d'elle. Ce ne sont pas l'ineptie, le sommaire et l'amateurisme de beaucoup de critiques qui me feront dévier de cette cohérence appuyée sur une certaine expérience.

Mais je ne suis pas naïf.

Derrière le paysage officiel, il y a les coulisses, l'officieux.

Je ne fais pas seulement référence à ce qui vient de surgir et qui semble concerner l'ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas - certains se déchaînent sans attendre - et le député Thierry Solère. Pour ce dernier qui a donné si volontiers des leçons de moralité politique, il y a comme une étrange ironie à relever qu'il y a l'éthique affichée et les accommodements personnels. J'apprécie que le délégué général de LREM ait immédiatement réagi et envisagé que Thierry Solère puisse être exclu de ce groupe si largement majoritaire.

Quand on réfléchit aux statuts, aux structures, à la pureté des principes, on oublie - ou on feint d'oublier - cette triste évidence que, de manière occulte, il y aura toujours des circuits, des processus, des ententes, des complicités, des amitiés et des fraternités qui viendront, sinon mettre à bas l'édifice ostensible, l'institution éclatante, mais les éviter, les suspendre ou les négliger quelque temps. Il y a des exemples à foison dans l'histoire judiciaire.

Au risque de sembler trop pessimiste, je n'imagine pas un seul instant qu'une rectitude singulière et collective puisse être si globalement respectée qu'elle garantisse que, derrière le monde officiel espéré irréprochable, il n'y ait pas une multitude d'ombres s'agitant sur un mode clandestin et à l'abri d'une maladresse à la Thierry Solère.

Pourtant, c'est cette certitude d'exemplarité absolue - de ceux qui sont en charge du pouvoir et de ceux qui viennent abusivement le solliciter - qui serait seule à entraîner la coïncidence de la superficialité, de ce qui est montré, avec le profond, ce qui est caché. Et donc la disparition de ce qui n'est plus acceptable.

Cette certitude, nous ne l'aurons jamais, parce que l'univers idéal où une éthique sans faille, une résistance à tous les sentiments, à l'amitié, à la réciprocité des services, à l'appréciation indulgente des transgressions discrètes domineraient sera toujours à mille lieues de notre monde si humainement imparfait.

Pourtant il convient, pour ne pas tomber dans un désespoir républicain, une sorte de cynisme à la "à quoi bon", de se battre, fût-ce tout seul, en portant haut l'exigence de l'éthique personnelle et professionnelle.

La Justice a ses naïfs mais il ne faut pas se moquer d'eux. Ils sont comme un aiguillon, un défi.

1753 vues

16 décembre 2017 à 16:00

Partager

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.