Les enseignants le savent bien - et les policiers aussi : les vacances de la Toussaint sont toujours un bon repère pour faire un premier bilan du « climat scolaire », selon l'expression officielle. Le théorème est le suivant : la période septembre-octobre étant la plus facile (été indien, nouveauté, énergie et dynamisme des équipes apportés par les grandes vacances), si, malgré cela, les nuages sont déjà là, alors le reste de l'année sera dur. Le Figaro, sous la plume de Caroline Beyer, a mené une enquête au ton très juste, au diapason de ce que nous vivons. Sous le titre « Les collèges et lycées dans l’impasse de l’ultraviolence », elle dresse un état des lieux qui correspond malheureusement à la réalité : « Enseignants agressés en classe, rixes entre élèves armés, harcèlement dans et hors les murs… Les établissements du secondaire font face à une vague de brutalité inédite. »

L'enquête a aussi le courage se souligner deux facteurs aggravants et que j'ai pu moi-même constater ces derniers jours dans ma ville et mon établissement.

D'abord, l'extension du phénomène à tout le territoire, tous les établissements. Notamment pour les violences dues au harcèlement, comme le souligne Le Figaro : « "Le constat est cruel, mais sans appel : aucun établissement, aucune région, aucune catégorie socioprofessionnelle n’est épargné aujourd’hui", constate le rapport d’information sénatorial sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, rendu le 21 septembre. »

Ensuite, la minimisation systématique des autorités, bien connue depuis le célèbre phénomène « Pas de vague », qui avait éclaté il y a trois ans, justement à la Toussaint. Jean-Michel Blanquer avait beau déclarer, sur Europe 1, il y a un an, quelques jours après l'assassinat de Samuel Paty, que cette expression, il ne la « support[ait] plus », le « pas de vague » ne fait que grossir et se réinventer. Il suffira de rappeler la lâcheté qui a poussé bien des établissements, comme le mien, à, tout simplement, ne pas rendre hommage à Samuel Paty. En pesant chacun de ces derniers mots au moment où je les écris, je crois dérouler un cauchemar. Non, c'est la réalité. Pas d'hommage, pas d'incident à faire remonter. Autre façon de casser le thermomètre : l'impact des mois de confinement sur les statistiques. Mais l’Autonome de solidarité laïque (ASL), association souvent en première ligne pour assister les personnels de l’Éducation, a le courage de qualifier la « baisse » du nombre de dossiers de « trompe-l’œil », précisant que « l’analyse, mois par mois, des chiffres et sa projection montrent qu’en "année normale", le nombre de dossiers ouverts "aurait été au moins égal, voire supérieur à l’année 2019" ».

Si vous doutiez encore, même la FCPE, classée à gauche, se met à tirer la sonnette d'alarme. Dans Le Parisien, Stéphanie Durel, la présidente du conseil départemental de la FCPE en Seine-et-Marne, l'affirme : « L’année scolaire n’a pas débuté comme les précédentes. De plus en plus d’établissements secondaires connaissent des problèmes de violences depuis septembre. Y compris ceux qui n’avaient pas de problèmes graves jusqu’à maintenant. J’ai alerté la directrice académique des services de l’Éducation nationale (DASEN). » Et je pourrais confirmer : dans un lycée voisin du mien, les collègues assistent à la multiplication des intrusions violentes pendant les cours, accompagnées de jets de différents projectiles par des mini-bandes cagoulées.

Ces derniers jours viennent confirmer les deux tendances de l'explosion des violences : dans la Drôme, des enseignants d'un lycée de Pierrelatte ont été menacés dans des tags d'être décapités comme Samuel Paty (France-Bleu Drôme-Ardèche) tandis qu'à Toulouse un jeu inspiré de Squid Game a conduit au tabassage d'un adolescent dans un collège (CNews).

Pendant ce temps, notre niveau - notamment en sciences - continue à s'effondrer, comme en témoignent les collègues membres des jurys, tout comme le nombre de candidats aux concours d'enseignants. Et ne me dites pas que cela n'a pas de rapport.

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24 octobre 2021 à 12:00

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