Une statue de l’émir Abdelkader à Amboise : il fut aussi l’ami de la France

abdelkader

Vous verrez qu’un jour, on fera du général de Gaulle un défenseur de la cause LGBTQI+. Si, si, en faisant un effort, on doit pouvoir y arriver. Tenez, par exemple : du char d’assaut aux chars de la Marche des fiertés, il n’y a qu’un pas. À moins que - c’est possible aussi - on en fasse un homophobe de la pire espèce et que, du coup, on lance la petite entreprise de démolition qui ne connaît pas la crise sur le chantier. Il ne faut pas grand-chose, parfois, pour que ça penche d’un côté ou de l’autre. L’Histoire est devenue le rayon bricolage des réparateurs de mémoire en tout genre.

Emmanuel Macron aime bien le bricolage. En décembre 2020, interviewé par Brut, il émettait le souhait que soit établie une liste de 300 à 500 personnes issues des outre-mer, des anciennes colonies et de l’immigration pour aider les maires (des incultes, sans doute) dans leur politique de renouvellement de noms de rues, places et bâtiments publics. Aussitôt dit, aussitôt fait – c’est l’avantage des monarchies absolues -, une liste de 318 personnalités était publiée en mars 2021. Parmi ces personnages, l’émir Abdelkader ibn Muhieddine (1808-1883), descendant du prophète. De son côté, en janvier 2021, on se souvient que Benjamin Stora avait remis à Emmanuel Macron un rapport (le fameux rapport Stora !) dans lequel il préconisait qu’une stèle en mémoire de ce personnage devenu mythique soit érigée au château d’Amboise (Indre-et-Loire) où il fut emprisonné, de 1848 à 1852, avec sa famille et sa nombreuse suite, après sa reddition au général de Lamoricière en décembre 1847. C’est ainsi que, samedi 5 février, sera inaugurée dans la petite ville tourangelle une statue de celui qui devint l'ami de la France après l'avoir combattue. Celui, aussi, que l’Histoire officielle algérienne a consacré comme unificateur de l’Algérie et résistant à la conquête française. C'est ce que l’historien Bernard Lugan, bien connu des lecteurs de Boulevard Voltaire, appelle « une histoire fabriquée » sur laquelle repose la « légitimité » du « Système algérien ». Le bricolage ne connaît ni crise ni frontières.

Interviewé, en janvier 2021, par France Bleu Touraine, Benjamin Stora justifiait ainsi sa proposition : « Pour moi, c’est un homme passerelle, puisqu’il a défendu les chrétiens à Damas en 1860… » Homme passerelle, effectivement, si l’on considère schématiquement les trois périodes de la vie d'Abdelkader : tout d'abord, le chef d'une rébellion qui, du reste, n’eut rien d’un soulèvement national, contrairement à ce que l'Algérie indépendante a voulu faire croire, comme l’explique Bernard Lugan ; puis la phase transitoire que fut celle de sa détention en France ; enfin celle de l’ami de la France, couvert d’honneurs après l’épisode syrien dont il sera question plus loin. Cette stèle serait donc, estimait Stora, « comme un signe de réconciliation entre les deux pays ». On ne peut que s'en réjouir.

Libéré en 1852 par Napoléon III, Abdelkader, après quelques péripéties, s’installa à Damas en Syrie. En 1860, le quartier chrétien de Damas est attaqué par les Druzes. Plus de 3.000 personnes sont massacrées. L’émir, aidé de ses fils, met en sécurité chez lui de nombreux chrétiens, notamment les sœurs de la Miséricorde. En récompense, Napoléon III l’éleva directement à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur, décoration qu'il portait volontiers, avec toutes celles qui lui avaient été décernées par de nombreux pays européens, lors de ses visites à Paris en 1865 et 1867. Or, on notera que le pouvoir FLN s’évertua à effacer ces décorations dans l’iconographie officielle. Ainsi, dans les années 1980, le président Chadli avait demandé à un artiste la réalisation d’un portrait d'Abdelkader pour un futur musée de l’Armée. Le peintre prit pour modèle une photo où l’émir était paré de ses décorations. Décorations qui, comme par enchantement, ne figurent pas sur le tableau. Anecdote révélatrice de cette « histoire fabriquée », selon l’expression de Lugan. Représenter l'émir bardé de décorations remises par le colonisateur, c'était reconnaître l'allégeance à ce colonisateur.

La « passerelle » que Stora appelle de ses vœux est une belle idée. Mais elle ne peut s’appuyer que sur les piliers de la vérité. Qu'en est-il lorsque celle-ci est occultée ? Du reste, la statue érigée à Amboise ne représente pas l’émir, la poitrine barrée du cordon de la Légion d’honneur. C’est dommage. Un détail ? Pas tant que ça. Un oubli, une volonté ?

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

Vos commentaires

28 commentaires

  1. dvinez qui est le responsable !! Cette « œuvre » pour les 60 ans de l’indépendance de l’Algérie avait été proposée par l’historien Benjamin Stora dans son rapport sur « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie »mais rien pour les massacre des » » pied noirs «  »

  2. Est-ce qu’en Algérie, comme dans tout autre pays étranger, on érige aussi des statuts de personnalités Français qui ont aimé le ou les pays concernés ?

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