[Une prof en France] Quand la mémoire s’efface, le réel s’obscurcit

jeux vidéos

Virginie F. est professeur agrégée de lettres dans un collège du sud de la France. Toutes les semaines, elle livre aux lecteurs de BV son quotidien édifiant, tragique, inimaginable pour ceux qui n'y sont pas plongés. Troisième épisode.

Lundi, 11 heures. Cours de français avec des 4e. Je quitte la salle des professeurs avec des semelles de plomb. Ce n'est pas que ce lieu soit particulièrement stimulant, mais en comparaison avec la salle de classe des 4e, il semble un havre de paix et de culture. J'ai prévu une séance d'analyse picturale. Les élèves devaient la préparer en répondant à une série de questions à partir de reproductions de toiles de Magritte. Je m'attends au pire, enfin, au néant, et je m'y prépare… La classe est agitée, mais dans une mesure raisonnable. Enfin, rien dont nous n'ayons malheureusement l'habitude. 11 filles, 19 garçons, une mauvaise combinaison à cet âge-là.

Nous commençons. « De quand date ce tableau ? » Silence. Aucun élève n'a pensé à se renseigner sur le peintre. Je leur donne un indice digne d'un jeu télévisé : « Regardez sous l'image… » Enfin, un génie trouve la date, inscrite dans la légende de l'image : 1937. Comme je suis de nature persévérante, je continue mon interrogatoire. « Que se passe-t-il en Europe à ce moment-là ? » Aucune idée… J'évoque rapidement l'entre-deux-guerres. Cela ne leur dit rien. On parvient difficilement à identifier de quelles guerres il s'agit. Mon objectif est de leur parler du surréalisme et de le relier aux mouvements pacifistes de cette période. Je m'aperçois avec un certain effarement qu'ils ne savent absolument rien sur les années 30 et la Deuxième Guerre mondiale. Quand je leur demande de citer des noms de dirigeants de l'époque, rien ne sort. Hitler : inconnu. Mussolini, Franco, Staline : jamais entendu parler. Nazisme, fascisme : idem. Même les abréviations « nazi » et « facho » ne sont pas arrivées jusqu'à eux.

Ils ont 13-14 ans et sont d'une inculture crasse, tellement profonde qu'ils ne comprennent rien au monde qui les entoure. La plupart d'entre eux n'étaient d'ailleurs au courant ni de la guerre en Ukraine ni de l'inflation. Seule la pénurie d'essence était arrivée à leur connaissance… parce que le collège est en face d'une station-service et que les files de voitures qu'ils apercevaient par les fenêtres les intriguaient. Le cours de français se transforme donc en cours de culture générale sur la première moitié du XXe siècle, à grands coups de brosse.

À la fin du cours, en salle des professeurs, alors que je déplore le manque de culture historique des élèves, ma collègue d'histoire rétorque : « Mais c'est normal, c'est le programme de 3e… » Je suis atterrée. C'est aussi absurde que d'imaginer qu'un enfant doive dire jusqu'à 12 ans « il faut que je vais prendre ma douche » sous prétexte que le subjonctif n'entre dans le programme qu'à partir de la 5e

Les adolescents semblent évoluer dans une bulle dont les adultes sont absents, entre vidéos TikTok et stories Instagram. Ils sont devenus sourds, noyés dans un tourbillon d'une « culture jeune » qui ne croise plus la culture générale, celle qui leur permettrait de s'insérer dans le monde des adultes. Cette culture générale, ce serait évidemment à l'école de la transmettre, avec le soutien des familles, mais pour cela, il faudrait que les enseignants y croient encore et que l'on revienne à un apprentissage plus systématique, moins complaisant et fragmenté, avec une remise à l'honneur de la mémoire et de la rigueur. Quand on voit l'ambition grandiloquente des programmes et le vide sidéral qu'on a en face de soi en cours, on pleure de rage devant un tel gâchis.

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

66 commentaires

  1. Ce professeur agrégé serait mieux employé au lycée, voire en classe prépa. Ce qu’elle propose est nettement au-dessus du niveau d’une classe de 4ème agitée d’aujourd’hui. Je doute d’ailleurs que cet exercice puisse améliorer le niveau de langue de ses élèves. Ils ont besoin d’exercices basiques comme à l’école primaire d’autrefois et d’études de textes. Les élèves ne « savent » que ce qu’ils ont abordé dans un programme scolaire car ils n’apprennent rien chez eux et ne lisent pas. Le professeur d’histoire qui lui a répondu est plus réaliste. Quand j’étais enfant, mon grand-père nous parlait de la guerre de 14, qu’il avait faite et mon père évoquait la guerre d’Indochine, qu’il avait faite. Ma mère nous décrivait la vie pendant la 2ème guerre mondiale et sous l’occupation. Nous avions une idée de tout cela bien avant de l’étudier en classe. Aujourd’hui, personne ne transmet rien dans les familles et on ne parle même pas de l’actualité. Tout le monde est accroché au smartphone. Cet objet est la ruine de notre civilisation.

  2. Si on oublie ce que disait Hannah Arendt, « chaque nouvelle génération est une génération de barbares qu’il nous appartient de civiliser », on scelle le déclin de la civilisation.

  3. J »avais une énorme culture générale, et ça n’est pas près de s’arranger. Ca ne m’a jamais servi à rien. Si le patron ou le recruteur RH est inculte, il s’en moque.

    • La culture G n est pas faite pour épater le recruteur, mais pour enrichir celui qui la détient. Et c est heureux..

  4. Un grand merci de nous éclairer régulièrement sur ce qui se passe dans les classes .
    C’est en effet pire que ce qu j’imaginais .
    Je vous renouvelle mon admiration .
    Bravo et courage .

  5. Combien je vous comprend Madame et le déplore, une jeunesse inculte est sacrifiée. En son temps Victor Hugo l’a écrit
     » l’Education c’est la famille qui la donne, l’instruction c’est l’Etat qui la doit !  » Marie Curie, toute une époque, l’a écrit également; « Nous ne pouvons pas construire un monde meilleur sans améliorer les individus. Dans ce but chacun de nous doit travailler à son propre perfectionnement, tout en acceptant dans la vie générale de l’Humanité sa part de responsabilités !  » Peine perdu semble-t-il au moins pour cette génération.

  6. Remarquable article. « inculture crasse, tellement profonde qu’ils ne comprennent rien au monde qui les entoure »: c’est grave docteur, on pourrait presque parler de non assistance à personne en danger. Il y a un responsable de tout cela. Il s’appelle Macron.

  7. plus ils sont ignares, plus il sera facile de les manipuler quand ils seront adultes ! la nouvelle éducation national est faite pour !

  8. Madame comme je comprend votre désespoir après avoir enseigné pendant plus de 30 ans en faculté de médecine et constaté la baisse constante de la culture générale chez mes étudiants Bac plus 7 et 8.

    • En tant que formatrice (formation continue) en milieu hospitalier, cliniques, EHPAD… je puis vous confirmer que c’est horrible, même chez les adultes déjà soit disant formés en fac ou en IFSI.
      Je me rappellerai toujours lorsqu’une direction m’a demandé de faire une formation sur l ‘éthique à son personnel.
      Lorsque j’ai demandé la définition, 1 seul a répondu.
      Quelle réponse! : « mon père en a tué 2 sur son chien dimanche ». Et ce n’était pas un jeu de mots, non, il était fier d’être le seul à savoir!
      Le pire est que, maintenant, cette baisse se voit dans les sujets médicaux… Ce qui explique peut être les problèmes vus lors de la covidémence?
      Heureuse d’être en retraite, mais inquiète pour l’avenir!

  9. Madame, mème si ce n’est pas votre spécialité essayez de demander à vos élèves de 4ème de situer les villes de Perpignan, Nice, Rennes, Strasbourg et pourquoi pas Paris sur la carte de France. Grand moment de rigolade en perspective. Vous me direz, quand on sait que notre président pensait que la Guyane était une ile…

  10. ! Nos « chères élites » ne sont pas en reste non plus quant à leur niveau culturel, historique, pourtant
    « diplômées «  nos anciens avaient un meilleur niveau et aussi beaucoup de bon sens ! Si Malraux, autodidacte, écrivain, passionné d’art, Cocteau, poète, cinéaste, dessinateur, un artiste touche à tout génial, n’avaient pas le bac, leur formation scolaire de base était d’un très bon niveau !

  11. Les enfants sont le reflet de la vie parentale , les repas en famille autrefois lieux de rencontre n’existent plus face aux sandwiches et les parents vissés à leurs smartphones vivent en locataires d’un logement partagé.
    Quand des jeunes de 20 ans d’un milieu aisé ne savent pas qui est Saint Louis on peut être catastrophés. ( histoire vécue)
    Comment faire aimer la France si on ne la connaît pas ?

  12. De fabriquer des ignares c’est le but pour en faire des bons petits moutons bien soumis incapables de réfléchir et de penser par eux même. Ils ne savent rien de la dernière guerre mondiale, malheureusement ils vont peut être connaître la prochaine vers laquelle celui qui est à l’Elysée les entraine avec la grande Russie.

  13. Ne sachant pas d’où ils viennent, ils ne sauront pas où ils vont. Le vide sidéral d’une où plusieurs générations qu’on pourra manipuler d’autant mieux. Merçi, messieurs les gauchos qui infestent « l’éduc nat » pour votre soutien aux forces du capitalisme transnational qui fait de vous leurs parfaits auxiliaires. Posez-vous la seule question qui vaille : pourquoi les soit-disant « élites », tout bords politiques confondus mettent leurs rejetons dans des « boites d’enseigenement privé, voire confessionnel » ? Parce que là, on les enseigne. De cette façon, ils seront encore et toujours en mesure de péréniser la mainmise de la « caste » sur les ignares si facile à manipuler.

  14. Je suis étonné que l’analyse de tableaux soit abordée dans un cours de français. Je croyais que cette matière était réservée à l’étude de textes, de la grammaire et de notre langue d’une façon générale.

    • L’étude de texte est bien trop compliquée pour les collégiens d’aujourd’hui. Pensez donc, il faut une  » image  » au moins pour que ces petits arrivent à sortir quelque chose. Un texte seul, rien que le lire et le comprendre est bien souvent au dessus de leurs capacités.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois