[Une prof en France] « Devoirs faits » : comment jouer sans cartes en main ?

1_devoirs

J'aimerais tant écrire une chronique positive, dégoulinante de bonnes nouvelles, imbibée de joie et de fierté. Je cherche… Je crois que j'ai trouvé et que la prochaine chronique sera pleine d'espoir, si toutefois notre ministre ne fait pas quelque dinguerie, d'ici là.

Mais cette semaine, je voulais évoquer le programme « Devoirs faits ». L'idée n'est pas absurde, ce qui est assez rare pour être souligné. Cela consiste à ouvrir un créneau horaire sur le temps scolaire pour que les élèves fassent leurs devoirs, à l'école, sous la supervision d'un professeur. Ce dernier doit les guider dans leur travail, éventuellement réexpliquer certaines notions, vérifier que les exercices sont faits et les leçons apprises, répondre aux potentielles questions. Il doit aussi faire de la méthodologie avec les élèves et leur « apprendre les mécanismes élémentaires d’apprentissage du cerveau (métacognition) », pour reprendre les termes du document produit par le ministère. Très bien, très bien. Le dispositif existait depuis plusieurs années, mais il est devenu obligatoire pour tous les 6e de France en septembre 2023. L'objectif est louable, vertueux, et cela pourrait porter du fruit si... - c'est là que le grain de sable arrive dans l'engrenage utopique - si le prof de sport pouvait réexpliquer une notion de maths, si tous les élèves notaient les devoirs à faire dans leur agenda, s'ils venaient à l'école avec une valise contenant tous leurs cahiers et tous leurs manuels, s'il était possible d'offrir un accompagnement personnalisé à un élève au milieu de trente autres, et surtout si on avait quelqu'un à mettre devant les élèves !

Dans la réalité, les professeurs ne se sont pas rués sur les fiches d'inscription à « Devoirs faits ». Le ministère a bien essayé de les intégrer au fameux pacte, dont il pensait qu'il serait un succès. Dans mon établissement, seulement 6 % des enseignants l'ont signé, soit deux personnes. C'est peu. Beaucoup avaient hésité - il faut bien payer l'essence pour venir au collège - mais ont reculé quand ils ont pris connaissance de la dimension fortement coercitive du contrat.

Alors, vu qu'on n'a souvent pas d'enseignant à mettre devant les élèves, que fait-on ? Le ministère répond. Il a tout prévu ! Il anticipe, il jauge, il évalue et il propose ! Des actes, des actes forts, c'est ce que tout le monde attendait. Des idées, ils en ont à revendre. Et de leur chapeau magique, ils ont sorti une liste d' « intervenants » pouvant prendre en charge les classes : CPE, surveillants, assistants pédagogiques - espèce existant sur les papiers du ministère mais rarement croisée en milieu réel -, documentalistes, AESH (ne me demandez pas ce que le sigle signifie, ce sont les anciens AVS, ceux qui aident en classe les enfants bénéficiant d'un accompagnement personnalisé), membres d'associations agréées et services civiques. Ils n'ont pas osé mobiliser, aussi, les gens de cuisine et de ménage, mais ils ont dû y penser. Tout cela serait bel et bon si ces gens, quand ils existent et ne sont pas une inscription théorique sur une fiche de poste vacant, ont un vrai travail et ont rarement des heures pendant lesquelles ils se disent : « Qu'est-ce que je vais pouvoir faire au cours des cinquante prochaines minutes ? Dis, si je prenais une classe ? J'ai tous les atouts pour ! Je n'ai aucune formation pédagogique, je ne connais pas les programmes, je n'ai pas d'autorité légale sur les élèves, auxquels je ne peux donner ni punition ni sanction, je suis parfaitement armé pour me jeter dans l'arène et gérer trente adolescents hyper-motivés ! Ça va bien se passer. »

Dans la réalité, la documentaliste reste au CDI, les AESH sont en cours avec les élèves qu'ils suivent, les surveillants surveillent, le CPE essaie d'éviter le burn out. Restent les services civiques, qui ne se bousculent pas au portillon des collèges, malgré les 17 semaines de vacances. Quand la chasse est bonne et qu'on arrive à en attraper un, hop ! on le colle à « Devoirs faits ». Il mérite ainsi ses 600 euros mensuels. On ne plaisante pas avec l'argent public ! Et là, le miracle opère et les élèves entrent glorieusement sous sa houlette dans le champ fleuri du savoir.

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

29 commentaires

  1. Rien de nouveau dans ces propositions qui ne donnent pas de résultats. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif et encore moins les enfants en perte de vitesse depuis le CP parce qu’on leur a inculqué qu’il ne fallait surtout pas écouter ce que les mécréants vont leur dire. Il faut que la France paie de toutes les manières: cours  » de rattrapage » inutiles. Bizarre qu’on n’ ait pas compris depuis 40 ans!

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Revivez le Grand oral des candidats de droite

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois