Un président de la République élu au 13e tour… grâce à sa prostate !

coty

Il y a ceux qui en rêvaient depuis tout petit et se voyaient un destin national, voire plus si affinités : les du genre « Je serai Napoléon ou rien », prêts à monter sur leur cheval blanc à bascule pour descendre les Champs-Élysées et à aller entendre le Te Deum à Notre-Dame. À l’arrivée, beaucoup de rien, peu de Napoléon. Dieu merci ! diront certains. Un destin national vite dégradé par les réalités de la vie en banale carrière politique qui donnera droit, la mort venue, si tout va bien et qu’on y pense au conseil municipal, entre le vote des subventions aux associations et l'approbation du PLU, à un rond-point ou à une impasse dans le nouveau lotissement à la sortie de la ville, à droite, juste après la déchetterie. Ils sont des wagons à y penser, avant même de se raser tous les matins devant leur glace. Au soir même du grand rendez-vous de l’élu avec son peuple, ils sont d’ailleurs légion à penser déjà au prochain rendez-vous : dans cinq ans, c’est-à-dire demain, au regard de l’Histoire.

Et il y a ceux qui n’y avaient sans doute jamais pensé, n’avaient jamais rien demandé et qui, un beau soir, comme ça, l’air de rien, ont décroché la timbale. À l'insu de leur plein gré. René Coty, deuxième et dernier président de l’éphémère IVe République, entrait dans cette catégorie. « J’ai une carrière modeste… », reconnut, dans son petit discours après son élection, ce sénateur (on disait alors conseiller de la République) de la Seine-Inférieure (on ne disait pas encore Seine-Maritime) et vice-président de la chambre haute. Cet homme était lucide sur lui-même : qualité rare, peut-être… Âgé de presque 72 ans, cet avocat de formation, qui totalisait près d’un demi-siècle de vie politique (conseiller municipal, député, sénateur), n’avait été sous-secrétaire d’État à l’Intérieur que dix jours, en 1930, et ministre de la Reconstruction (ce Havrais devait savoir de quoi il parlait) et de l’Urbanisme durant neuf mois, de novembre 1947 à septembre 1948 : pas de quoi entrer dans l’Histoire par la porte à double battant.

À cette époque, le président de la République était élu par le Parlement (députés et conseillers de la République) réuni en congrès à Versailles. La IVe avait dépecé le chef de l’État des prérogatives que la IIIe lui avait constitutionnellement données et qu’elle s’était acharnée à lui enlever dans la pratique. Le mandat du Président Vincent Auriol venait à terme en janvier 1954 et ce dernier ne souhaitait pas se représenter. Qui alors élire pour assumer cette charge lourde par son peu de poids politique ? On n’évoquera pas ici les nombreux candidats à cette élection : des noms qui, sauf pour les masochistes, fanatiques d’histoire politique de la France, ne disent plus grand-chose à grand monde. On retiendra seulement qu’il fallut treize tours de scrutin pour que les parlementaires réussissent à élire à la majorité absolue un président de la République. Six jours d’élection, un scrutin le matin, un l’après-midi, rien le soir. On imagine que tout cela fit le bonheur des commerçants, restaurateurs et hôteliers de Versailles. La République, héritière de la Révolution, devait bien cela à cette ville mise au chômage partiel et technique, un triste soir d’octobre 1789. Six jours de scrutin pour désigner un homme sans pouvoirs, ou presque : paradoxe de cette république qui portait encore frac et col cassé dans les grandes occasions. Nostalgie, peut-être, aussi, de cette même république qui a besoin d’un roi ou d’un simili-roi pour couronner ses institutions.

Alors pourquoi René Coty ? Parce que, dit-on, il avait été absent au moment du vote sur le projet de Communauté européenne de la défense (CED), un projet qui déchira ceux qu'on appellerait aujourd’hui européistes et eurosceptiques. Et absent pourquoi ? Parce que le jour du vote, René Coty se faisait opérer de la prostate. Parfois, ça tient à pas grand-chose. « C'est notre raïs à nous. C'est M. René Coty. Un grand homme. Il marquera l'Histoire ! » explique Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 117, en offrant à un brave Égyptien la photo du grand et modeste homme en habit, arborant le grand cordon de la Légion d'honneur. Aujourd'hui, on va voter en claquettes, débardeur et short, et l'on pose officiellement le cul, non pas sur la commode, mais sur le bureau. Autres temps, autres mœurs.

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

Vos commentaires

10 commentaires

  1. Merci pour cette info historique…Il y en a un autre qui s’est présenté à la présidentielle en 1981 malgré son cancer de la prostate, et qui est resté 14 ans au pouvoir !!!

  2. René COTY après Vincent AURIOL, « régnait » sur un pays qui n’avait rien à voir avec ce qu’il est devenu. Je suis né dans le 14ième et est vécu toute mon enfance dans le 5ième arrondissement de Paris, je peux vous dire que la ville que j’aimais n’a plus rien à voir avec celle que j’ai connue, alors une VRAI ville Française. Elle est pour moi désormais une ville vraiment étrangère, mais il y en a malheureusement bien d’autre dans notre pauvre pays. Cordialement.

  3. 6 jours c’est presque la nomination d’un pape, encore heureux qu’on ne les enferma pas das le château comme les pape dans le conclave.

  4. Le Président Coty et surtout son épouse, ont été très appréciés et aimés des Français, mais c’était un autre temps et sous la quatrième République, le Président n’avait que peu de pouvoir.

  5. C’est toujours un plaisir de vous lire mon colonel. Bravo pour le titre de l’article qui intrique et attire.

  6. « à cette époque »…nous apprenez-vous, mais pendant les III, IV et Vème Républiques il en fut de même, oubliâtes-vous ?…..6 jours d’élections, mais quel bonheur! doublé de celui des commerçants divers! On en changea suite à un referendum approuvé par 62% des votants en d’octobre 62 pour 1965! Pourquoi ? je l’ai oublié, et pour qui, sinon pour une pleine année de facturations enflées pour les Sondeurs et des Médias et une débauche de Pubs que nous payons, nous!
    Vous brocardez le scrutin Coty?

    • Certains sont entrés dans l’Histoire par la grande porte mais pour en sortir brutalement par la trappe
      Hitler, Ceaucescu, Saddam Hussein , kadhafi, sans parler des Pol pot ou autre Amine Dada

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