[Tribune] Niger, la France paie cash son aveuglement

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Pour avoir été en poste au Niger entre 1993 et 1996, et témoin direct d’un coup d’État, je peux affirmer que s’il est un titre dont peut se prévaloir le Niger, c’est bien d’être l’un des champions africains du coup d’État militaire. Le dernier en date, celui du 26 juillet 2023, n’est en réalité que la suite de tentatives et de putschs qui sévissent dans ce pays depuis de très nombreuses années. En tenir la comptabilité deviendrait vite fastidieux, mais force est de constater que le trait commun à tous ces agissements s’appelle « la garde présidentielle ».

Une garde qui, décidément, porte bien mal son nom. En effet, normalement instaurée pour « protéger » le président de la République élu et les institutions qu’il incarne, cette force militaire a été systématiquement impliquée dans tous les renversements des pouvoirs en place qui sont récemment intervenus. Et le dernier exemple en date ne déroge pas à la règle, puisque c’est le général Abdourahamane Tiani qui commandait cette unité d’élite. À noter que c’est le président renversé, Mohamed Bazoum, dauphin déclaré du précédent président, Mahamadou Issoufou, qui avait confirmé le putschiste dans son poste. Comme quoi, surtout au Niger, on est toujours trahi par les siens.

Sur fond de divergences ethnico-politiques, ce dernier coup d’État ne se différencie pas, sur la forme, des précédents. Les motifs invoqués par le général Tiani sont en effet ceux généralement servis pour justifier de telles actions. Accusations de corruption du régime en place ainsi que mauvaise gouvernance du pays sont les deux principales raisons évoquées par les putschistes.

Sur la corruption, rappelons simplement la condamnation, en 2022, de deux journalistes nigériens, Moussa Aksar et Samir Sabou, lesquels avaient diffusé, en mai 2021, une enquête produite par l’Initiative mondiale sur la criminalité organisée. Celle-ci mettait en évidence et dénonçait les liens étroits entre des trafiquants et une partie de l’élite politique et militaire du pays. Sans être fondamentalement différents d’autres pays africains et même d’autres pays de la planète, dont certains passent pourtant leur temps à donner des leçons d’intégrité au monde entier, le Niger est, de fait, bel et bien un pays où sévit la corruption.

Pour ce qui relève de la mauvaise gouvernance, la place en fin de tableau des pays du monde quant à la richesse par habitant (entre 1.000 et 1.500 dollars, selon les sources) atteste bien de ce que ce pays, qui dispose pourtant de richesses minières importantes, pourrait avoir, pour ses populations, un tout autre avenir. Mais là encore, entre enjeux locaux de pouvoir et accords internationaux léonins, les intérêts des Nigériens passent le plus souvent au second plan.

Si un aspect différent de ceux observés jusque-là devait être retenu à l’occasion de ce dernier coup d’État au Niger, c’est bien l’actuel contexte international. Et notamment les bouleversements géopolitiques qui se font jour, suite au conflit ukrainien. La présence de drapeaux russes brandis par les Nigériens à l’occasion des manifestations n’est ni anodine ni vraiment une surprise.

Pour ce qui concerne la France, le Niger est le troisième pays de la région qui, après le Mali et le Burkina Faso, émet la volonté de rompre radicalement avec l’ancien colonisateur. Certainement l’effet domino n’est-il pas étranger à ces bouleversements. Envie d’une réelle indépendance, réaction à une exploitation politico-économique bien réelle, hostilité à une présence militaire étrangère qui, au prétexte de lutter contre les groupes islamistes, s’inscrit dans une durée qui n’est plus acceptable, telles sont sans doute, pour partie, les raisons de ce brusque retournement contre les intérêts français. À côté de cela, il faut bien reconnaître que la France, pour n’avoir pas su changer son logiciel africain et n’avoir pas voulu ou su anticiper les conséquences de son alignement aveugle sur les États-Unis, est en train de payer au prix fort des choix dont les conséquences étaient pourtant prévisibles. Certes, « l’erreur est humaine », mais « persévérer est diabolique ». Emmanuel Macron devrait méditer plus souvent ce vieil adage !

Olivier Damien
Olivier Damien
Conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, Commissaire divisionnaire honoraire

Vos commentaires

43 commentaires

  1. Nous sommes promptes à dénoncer la corruption. Ce qui relève de bons sentiments, peut-être naïfs. En la matière, toutes les nuances de corruption sont exploitées, de la plus sourde à la plus exposée. Sous nos yeux nous avons un Chef d’Etat qui se maintient au pouvoir malgré une fronde populaire négative sans précédent. Quelles sont les forces, les intérêts qui peuvent soutenir un pantin de papier mâché ? La finance, le profit au détriment de ce populaire « lépreux ». Il ne s’en cache pas. Macron n’est que l’outil dans la main, du bras qui les porte. Il est aux « ordres ».

  2. Je vous invite à écouter la très intéressante interview de Bernard Lugan, spécialiste de l’Afrique, sur sud-radio avec Berkoff le 14 mars dernier, paroles prémonitoires concernant le Niger ! Spécialiste qui dérange la bien-pensance, ignare sur l’histoire de l’Afrique !

  3. Si la CDEAO et la France se couchent, c’est une victoire de plus pour la barbarie islamiste.
    Merci aux USA de lâcher une fois de plus la Civilisation au profit du mondialisme malhonnête.

    • Pourquoi les USA? Les américains sont certes des nuisibles, mais ne sont pas responsables des malheurs de l’ensemble du monde…

  4. « Sans être fondamentalement différents d’autres pays africains et même d’autres pays de la planète, dont certains passent pourtant leur temps à donner des leçons d’intégrité au monde entier, le Niger est, de fait, bel et bien un pays où sévit la corruption. »
    Pouvez vous approfondir votre pensée ? J’ai bien une idée mais est-ce la bonne ?

  5. Pour approfondir le sujet et prendre un peu plus de hauteur de vue, ne pas manquer l’entretien accordé par l’africaniste hors pair qu’est Bernard LUGAN chez André BERCOFF; Une pure merveille ! A la question, après le Mali et le Burkina Faso, à qui le tour ? Réponse : le Niger ! Et l’entretien a eu lieu en mars dernier !

  6. Ce que Monsieur Olivier Damien, que je respecte par ailleurs profondément pour ce qu’il est et la justesse de ses propos, oublie de dire c’est que les frontières d’une grande partie de ces pays africains ont été tracées à l’emporte pièces par les différents colonisateurs en regroupant des ethnies, en guerre entre elles depuis des siècles, dans un même territoire. Il ne faut donc pas s’étonner que l’Afrique ait tant de mal à se pacifier. Ajoutant à cela l’appétit toujours plus avide de pays néo-colonisateurs (USA, Chine, Russie).

  7. Disons que depuis Mitterrand et son fils surnommé « papam’a dit », il n’y a plus de politique africaine de la France, et que nos dirigeants ont accumulé les erreurs, on récolte les fruits de toutes ces inepties.

  8. Je suis désolé, mais la France n’a jamais été un pays colonisateur : cela n’a pas existé. Ce qui a existé ce sont des colons français qui sont allés dans des pays étrangers pour, en termes économiques, les (les = les pays, pas les humains y habitant) exploiter et les aider à se développer. Le « terme colonisateur » est un terme accusatoire et infamant vis-à- vis de la France comme des anciens colons français.

  9. Un pays ruiné comme la France peut difficilement maintenir son influence sur la moitié d’un continent, surtout quand il est gouverné par quelqu’un qui se prend pour Mozart, mais n’est qu’un mauvais rappeur … Il aurait fallu à la tête de l’Etat ou du ministère des Affaires Etrangères quelqu’un d’exceptionnel pour sauvegarder les relations franco-africaines, mais comment trouver ce genre d’oiseau rare dans cette caste d’idiots endogames qui sabordent ce pays. Comment lutter contre la Russie avec sa politique éclairée, sa dette extérieure pratiquement inexistante et ses envois de céréales parfois gratuits pour les pays les plus désespérés, envois qui emportent l’approbation de l’Africain de la rue ?

  10. Le problème de la France est aussi qu’elle veut à tout prix imposer la démocratie dans des pays de structures tribales où tout le village vote pour son chef sans aucune exception aucune. C’est cette nouvelle façon de coloniser l’Afrique qui déstabilise les états et nous faire haïr des peuples. Les anglosaxons sont plus forts que nous en acceptant les cultures ancestrales où les minorités historiques gouvernent depuis toujours. C’est le cas des Tutsis rwandais qui ne représentent que 10% de la population et dont leur chef Kagame a fait le pays le plus moderne d’Afrique.

  11. Aujourd’hui des drapeaux russes, Poutine nous fait payer l’addition des sanctions économiques sur ordre de l’UE, mais M. Damien vous auriez pu indiquer également qu’il y a une ou deux décennies , voire trois, c’était des drapeaux américains que l’on pouvait voir !

  12. La France paie pour tout et partout au point de négliger les besoins de son peuple qui paie impôts et taxes . Cen’est plus tolérable .

  13. A priori les journalistes et contributeurs de BV se sont passé le mot: rappeler l’alignement de la France sur les USA à chaque article, même quand le sujet n’a pas de rapport à première vue! Ce que la France paye, effectivement, c’est à la fois ses décisions catastrophiques en Afrique (la Libye, pour ceux qui n’auraient pas compris) et son affaiblissement international, car personne ne craint les faibles, pas plus à l’ONU que dans la cour d’école. Ce ne sont pas les américains qui ont décidé de réduire notre armée à des dimensions critiques, pas plus que ce sont les américains qui ont transformé notre pays en coupe-gorge infesté de rats. Ils profitent de notre affaiblissement comme le font les russes, mais les premiers responsables du déclin de notre pays, c’est nous-mêmes, par paresse, naïveté, aveuglement ou lâcheté. Et un pays tombé si bas n’a que les dirigeants qu’il mérite.

    • oui mais ceux que vous citez, ne manque pas également de « tirer » les ficelles en coulisse !

      • Monsieur, il est toujours confortable de trouver des responsables autres que nous-mêmes; pour les africains, ce sont les européens (en oubliant au passage leurs gouvernants corrompus et leurs guerres ethniques incessantes), pour les européens ce sont les américains ou les chinois… si les américains ne sont pas des enfants de cœurs (et les russes et chinois non plus, quoique vous en pensiez), ce ne sont pas eux qui ont fait sombrer le pays, c’est nous! Ou étaient les français qui défilaient pour leurs retraites quand on sabordait l’énergie nucléaire du pays? Quand on crachait sur l’histoire? Quand on déboulonne les statues? La faute aux américains?

    • Parfaitement d’accord. Ma longue période au Sénégal…. et ce ne sont pas les US qui ont fait partir nos militaires de Dakar mais bien l’autre nain de Sarko.

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