[THEATRE] Autoportrait au radiateur d’après l’œuvre de Christian Bobin, à Paris
Nous sommes dans une petite salle de pierre voûtée. Intimiste, avec un décor minimaliste, elle nous coupe du Paris saturé qui s’affole. Tiré d’un journal écrit par l’écrivain Christian Bobin, entre Pâques 1996 et 1997, en deuil après le décès de son amie, Autoportrait au radiateur est un spectacle composé de fragments de son humble quotidien. Il livre une réflexion sur le silence, le temps, la joie, Dieu. Pour la conceptrice du spectacle - qui est aussi la comédienne qui l'interprète -, Blandine Jeannest, l’œuvre originelle est « une indispensable invitation à se ressourcer dans les objets et les lumières du quotidien ».
La pièce commence avec le récital de Blandine Jeannest, comme un poisson dans l’eau. Elle se déploie sur une scène exiguë en racontant paisiblement le quotidien de Bobin dans une gestuelle lente et gracieuse. À l’abri du tourbillonnement parfois délirant de notre monde, le spectacle est un éloge à la lenteur et au calme : « Je suis une souris sous le parquet qui grignote du silence. Il me semble y en avoir à l'infini. »
Voix, piano et violoncelle
Elle chante également de sa superbe voix de soprano qui enveloppe. Elle varie la poésie de la langue en passant de l’allemand au français. Une pianiste lui répond pour imprimer en nous les paroles édifiantes qu’on nous donne à entendre. Une violoncelliste fait entendre à son tour le son velouté de son instrument. Comme un dialogue à trois, le spectacle laisse voir la complicité entre les trois femmes qui s’échangent des regards, sourient à celle qui s’exprime. La comédienne se place juste à côté de la violoncelliste en s’adressant à elle ou se tient appuyée sur le piano en écoutant la pianiste lui donner la réplique. La joie de Blandine Jeannest se devine à son visage lumineux. « La joie va en moi beaucoup plus vite que la pensée », déclare-t-elle.
De sa voix gutturale, le metteur en scène complète le trio féminin par la lecture de citations de l’auteur. Il s’appuie sur un papier fait d’annotations manuscrites, éclairé d’une petite lampe créant une bulle de lumière. Il n’est pas sur scène, mais parmi les rangs des spectateurs. Cette configuration apporte une spontanéité et une proximité avec le public.
L'autre et moi
Autoportrait au radiateur est également un plaidoyer pour l’émerveillement : quand une branche craque à la brise du vent, nous entendons ceci : « Dans ce mouvement communiqué à l'immensité par presque rien, je me suis retrouvé heureux et comblé. » « Aujourd'hui, je n'ai pas fait grand-chose, raconte l’auteur, qui nous invite à l'espérance : Il est arrivé un miracle, comme souvent au dernier moment, comme il en arrive du côté où on ne l'attend plus. »
À travers la voix de Schneider, Bobin dénonce le culte de la jeunesse et de la vitalité où les vieux, les malades, les prisonniers n'ont pas voix au chapitre. Et donne à voir son humilité : « Toutes ces personnes […] me semblent meilleures que moi. Peut-être que cette pensée est malade, mais j'espère qu'elle est incurable, tellement elle me donne de joie. »
Interrogée par BV, Blandine Jeannest explique que dans son dernier ouvrage posthume, Le Murmure (Gallimard), Bobin déclare qu’il est au service de la poésie et de l’écriture, qui l’auront amené aussi loin qu’un être humain puisse aller : « Nous avons produit ce spectacle, car nous aimons l’œuvre de Bobin, [mort discrètement en 2022] et Autoportrait au Radiateur, en particulier. Nous ne sommes pas partis en croisade pour faire connaître l’œuvre de Bobin qui n’a pas besoin de nous ! » s’exclame-t-elle.
Dans ce très beau spectacle, le rythme est un peu trop constant et l’enchaînement des interventions devient prévisible. Mais on est édifié par les paroles qui nourrissent l’âme et donnent à méditer, par la musique qui flatte nos oreilles et relève notre esprit. La traduction sur scène d’Autoportrait au radiateur vaut le détour.
• La pièce se donne du 6 au 8 juin, dans l’Espace Bernanos, attenant à l’église Saint-Louis-d’Antin à Paris IX.
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3 commentaires
D’abord j’ai cru que c’était une blague. Mais non ce jeune homme semble sérieux. Apologie du foutage de gueule ? Promotion de la décadence de la « culture » ? Faut-il en rire ou en pleurer ? Plutôt en rire sans doute.
Poète dont la mélancolie nous enchante, parti trop tôt. « Yeux murés par l’éternel, j’avale les fééries de l’air. Et j’écris. C’est ma réponse au sans réponse, mon contrechant, un bruit d’ailes dans le feuillage du temps. »
Dommage que ce ne soit qu’à Paris .