[STRICTEMENT PERSONNEL] À droite toute !

La vie, aussi bien la vie politique, réserve d’étonnantes surprises.
IL20240409190919-jamet-dominique-929x522

Étais-je le seul, ces dernières semaines, à trouver qu’on en faisait peut-être un peu trop autour du match de titans qui opposait deux compétiteurs, aux dents longues mais aux perspectives limitées, pour le contrôle – la présidence – d’un parti à la ramasse, d’un parti qui se réclamait toujours, les dimanches d’élection, du nom, de la stature, du parrainage, des idées du père fondateur de la Ve République, mais qui tendait à n’être plus qu’un lobby vieillissant de notables, plus fortement vissés à leurs fauteuils d’élus qu’attachés à leurs supposées convictions « gaullistes », d’un parti qui, lors de la dernière présidentielle - la vraie –, n’était pas parvenu à se hisser jusqu’au seuil fatidique des 5 % de votants, d’un parti qui, faute de leader, de programme, de militants et d’électeurs, avait perdu toute crédibilité, s’accrochait bien, ici et là, à quelques fiefs tant bien que mal sauvegardés, mais paraissait inexorablement condamné à une descente aux enfers, pour ne pas dire à une chute dans le néant, parallèle et analogue à celle de son vieux rival socialiste, lui aussi tombé si bas qu’il ne devait le maintien d’une représentation parlementaire minoritaire qu’au soutien mortifère de la Mélenchonie ?

On ne donnait pas cher de leur avenir

Quels que fussent les qualités personnelles des deux rivaux en piste, en dépit de leur affichage commun d’une volonté inébranlable d’aller jusqu’au bout de leur campagne et de leur évidente intention, s’ils gagnaient cette première bataille, d’aller plus loin et plus haut, la plupart des experts et autres observateurs de notre paysage politique ne donnaient pas cher de leur avenir, au-delà de la date retenue - le 18 mai –, pour siffler la fin du match. L’attitude, les propos, les promesses de Bruno Retailleau et bien entendu son accession au ministère de l’Intérieur, poste important à toute époque, et particulièrement dans le moment d’effondrement que vit notre malheureux pays, avaient projeté sur le devant de la scène le Vendéen, compatriote et admirateur de Georges Clemenceau comme du maréchal de Lattre de Tassigny, passé par l’école de formation idéologique du villiérisme et le creuset du Puy du Fou, mais jusqu’alors plus apprécié par la classe politique que reconnu par le grand public. L’engouement suscité par ses déclarations de guerre au crime organisé, par sa volonté affichée de faire entendre et respecter la voix de la France de Dunkerque à Tamanrasset, et faire régner l’ordre public du boulevard Barbès à la porte de la Chapelle (pour commencer), ne risquait-il pas de n’être qu’un feu de paille si, pour des raisons connues de tous et indépendantes de sa volonté, les paroles n’étaient pas suivies d’actes ? Quant à Laurent Wauquiez, cet enfant chéri de la méritocratie, aux diplômes et au curriculum vitae comparables à ceux d’un Bruno Le Maire, même s’il pouvait faire état (et ne s’en privait pas) d’un bilan positif à la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes, n’avait-il pas donné des verges pour se faire battre en accumulant les erreurs, voire les fautes dans son comportement, ses choix, sa communication, ses aveux maladroits qui faisaient douter sinon de son talent du moins de sa sincérité ? Ne s’était-il pas discrédité, sinon disqualifié, tout seul ? Qu’attendre de nouveau, de positif, d’éclatant de ce jeune cheval de retour ?

Plusieurs types d’événements qui n’étaient pas attendus par les spécialistes du sondage, de la prévision et des baromètres de l’opinion sont intervenus et ont spectaculairement changé la donne.

Le premier est évidemment l’afflux imprévu et relativement massif de militants « républicains », nouveaux en partie mais pour la plupart revenus au bercail abandonné, pour prendre part au vote et arbitrer entre les deux candidats à la victoire puis à la candidature. Qui sont-ils exactement, que veulent-ils, quels espoirs cultivent-ils, ou quelles arrière-pensées ? Ou quelles manœuvres ? Le fait demeure, éclatant : le corps électoral qui adoubera Wauquiez ou Retailleau, Retailleau ou Wauquiez et permettra donc au vainqueur d’envisager la suite avec optimisme, a triplé en quelques semaines en faisant de quarante mille à cent vingt mille inscrits. La chose est rare, elle ne peut être sans signification ni sans conséquences.

Que cherchent, aujourd’hui, les Français ?

...en tout cas ceux qui, déçus, échaudés, écœurés par l’usage qu’ont fait des institutions et l’état dans lequel ont mis notre pays les dirigeants et les partis qui se succèdent au pouvoir depuis trente ans, s’obstinent pourtant à chercher une lueur, un espoir, une sortie, un sursaut et pour tout dire un homme ? À ceux-là les deux champions, qui ont évité jusqu’à présent les coups bas, les traquenards, les règlements de comptes, les accusations, souvent justifiées, qui ont jalonné le parcours du mouvement gaullisto-chiraquien, ont tous les deux tenu le discours même que les adhérents anciens et nouveaux des LR désespéraient d’entendre.

Ce à quoi Jacques Chirac, habile et cynique politicien qu’une illusion répandue a fait passer pour un homme d’État, ne s’était jamais résolu, ce que Nicolas Sarkozy, plus prodigue de déclarations fracassantes que de résultats convaincants, n’a pas osé assumer, aussi bien Retailleau que Wauquiez l’ont fait, au moins dans les mots, dans des termes très voisins et en s’assignant des objectifs pratiquement identiques. Ouvertement, officiellement, fièrement, sans détour et sans équivoque, les deux rivaux ont affirmé leur appartenance et leur adhésion entière à la droite, avec tout ce que cela implique en matière d’ordre public, social, civilisationnel, financier ; bref, en rupture totale avec le bilan du Président en exercice.

Une demande et une offre « de droite »

Or, ils l’ont fait au bon moment, je veux dire en un moment où se répandent et montent simultanément, à travers le monde occidental (ou ce qu’il en reste), et chez nous aussi, une demande et une offre « de droite ». Sous l’impulsion et avec l’appui du « grand timonier » qui a pris le commandement des États-Unis, le paysage politique américain et européen change à vue d’œil. Limitons-nous à l’Europe. Viktor Orbán, hier paria, fait figure de pionnier. Aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche, en Slovaquie, la droite dite extrême, et qui est d’abord celle du sursaut national, est d’ores et déjà parvenue ou associée au pouvoir ou à la veille d’y parvenir. Ce sera sans doute le cas, dimanche prochain, avec la victoire probable de George Simion sur l’establishment usé et corrompu des vieux partis roumains. En Italie, Giorgia Meloni fait, sinon l’unanimité, au moins le consensus. En Grande-Bretagne, fragilisant le vieux système bipartisan, le Reform UK taille indifféremment des croupières au Labour et aux Tories. En Allemagne, le numéro 2 du team Trump, J.D. Vance, n’a pas craint de cautionner et d’encourager l’AfD, qui talonne désormais la bonne vieille CDU…

Le cordon sanitaire n'est plus qu'un souvenir

En France, lors de leur première confrontation, ce jeudi sur LCI, aussi bien Bruno Retailleau que Laurent Wauquiez ont annoncé et même proclamé une rupture historique. Le fameux cordon sanitaire qui depuis cinquante ans maintenait le FN puis le RN, partis légalement reconnus, à l’écart des responsabilités, des majorités, des gouvernements, du pouvoir et de l’espérance du pouvoir, n’est plus qu’un souvenir. C’est à LFI que les duettistes républicains comptent infliger l’apartheid jusqu’alors réservé au parti à la flamme. Qui aurait cru possible, il y a encore quelques mois, que les deux hommes forts de l’ex-RPR évoqueraient, pour l’un, une majorité allant « de Darmanin à Sarah Knafo » (en passant par qui, au fait ?), l’autre en s’adressant, plus prudemment, aux électeurs de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour !

Qu’en résultera-t-il ? L’original prévaudra-t-il, une fois encore, sur la copie ? Les porte-parole autoproclamés de la vraie droite mordront-ils, au nom de leur envergure, de leur compétence, de leur respectabilité, sur l’électorat de Le Pen et Bardella ? Tout est possible dans un pays où les gauches, unies ou divisées, ne dépassent pas 30 % des intentions de vote. LR survivra-t-elle ou succombera-t-elle à la cure de droitisation qu’annoncent les déclarations et les prises de position des deux candidats à sa présidence ? Le dissident Éric Ciotti se perdra-t-il sur les bords de la Riviera ou sera-t-il célébré, honoré et récompensé comme un précurseur ? C’est égal, on aura au moins entendu un successeur potentiel de Michel Debré, de Georges Pompidou, d’Alain Juppé, de Philippe Séguin… et du général de Gaulle, juger Marine Le Pen « trop à gauche ». La vie, aussi bien la vie politique, réserve d’étonnantes surprises.

Picture of Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

29 commentaires

  1. La première surprise sera celle qui fera comprendre à Retailleau que son aubaine actuelle ne sera pas suivie d’assez d’électeurs pour franchir le cap du deuxième tour…gesticulations actuelles inutiles et « télévirtuelles » pour les déçus de Macron.
    Les français en majorité, ne veulent plus des barons locaux si bien arrivés à des postes convoités mais sans rapport avec les intérêts de la France.
    Il faut construire une vraie armée de soldat en quantité et qualité raisonnable, pas une armée de portables et de drogués, c’est la triste actualité qui nous recommande à la raison et non à la déformation sempiternelle des repères de la vie.

    Le mensonge appartient à tout le monde, à commencer par télémacron.
    Français et souverain malgré l’UE.

  2. Faut-il oublier que ces deux duettistes ont avalisé et entretenu le cordon sanitaire ? Retailleau profite de sa « vendéité »donc de l’appui villiériste. Tous 2 quittent le parti irréformable teinté d’un gaullisme délavé et sans énergie. La bonne nouvelle, pourtant, est le naufrage de l’extrême gauche dans des luttes de fin du soviétisme. Méfions nous du jeunisme qui a tant détruit les patriotismes. C’est hélas le choix (un peu contraint) de MLP qui avait déjà tué le père et se gauchise à grande allure pour percer un dôme de verre qui a pourtant fondu au soleil hivernal d’Austerlitz.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Mélanie Grapinet est victime de l’effondrement de l’Éducation nationale
Gabrielle Cluzel sur l'hommage à Mélanie Grapinet

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois