Jamais l’Histoire n’est écrite à l’avance ; pas plus celle de l’Iran ou des USA. Certes, comme rappelé en ces colonnes, les Perses ont inventé le jeu d’échecs et les Américains un poker plus ou moins menteur, mais les stratégies les plus finaudes peuvent aussi se trouver fragilisées par de simples hasards.

Ainsi, le pouvoir iranien ne pouvait anticiper l’assassinat « ciblé » du général iranien Qassem Soleimani, commandant en chef d’Al-Qods, corps d’élite des Gardiens de la révolution, considéré en Iran comme le vainqueur de Daech ; mais, plus encore, personnalité charismatique, susceptible de réconcilier à la fois « libéraux » et « conservateurs » locaux. C’est la méthode Trump, consistant à renverser la table en permanence, jusqu’au jour où il n’y a plus à manger dessus et que les convives s’en sont allés.

Ce coup d’éclat américain aurait pu demeurer sans lendemain, s’il n’y avait eu cet autre funèbre imprévu, soit la destruction en plein vol d’un Boeing 737 ukrainien, le 8 janvier dernier. Bien sûr, même le très influent New York Times convient qu’il y a eu là erreur humaine, ce que reconnaissent d’ailleurs les autorités iraniennes sans que leur honnêteté n’ait été mise en doute. Ce sont malheureusement des choses qui peuvent arriver, surtout par gros temps de tension internationale. La preuve en est la destruction d’un autre avion civil (190 victimes civiles dont 66 enfants), iranien celui-là, abattu dans de pareilles circonstances par l’armada américaine, le 3 juillet 1988, en pleine guerre entre un Irak surarmé par leurs bons offices, avant d’être lâché par leurs bons soins, contre un Iran abandonné, quelques années auparavant, au nom d’on ne sait quelle bonne gouvernance internationale.

Cela peut-il influer durablement sur la scène politique intérieure de l’Iran ? Oui et non. Certes, les manifestations s’y multiplient, mais pour des raisons parfois contradictoires.

Il y a aussi l’usure du pouvoir. La révolution de 1979, c’est loin, mais le péché originel du chah d’Iran l’est tout autant. Avoir été mis en place après le putsch diligenté par l’Angleterre et les États-Unis, en 1953, d’un Mohammad Mossadegh, Premier ministre ayant contesté la toute-puissance des compagnies pétrolières anglo-saxonnes, voilà qui remonte à belle lurette tout en demeurant dans les esprits. En ce sens, l’accession d’un ayatollah Khomeini au pouvoir demeure encore symbole d’émancipation nationale. Mais aujourd’hui ?

Après guerre, la France a eu ses barons du gaullisme, l’Algérie ses généraux du FLN, tandis que la caste iranienne, parvenue aux commandes, est celle des clercs et des Gardiens de la révolution : soit une vocation réelle, ensuite devenue véritable rente de confort. Après tout, on ne saurait demander plus à ces gens que ce qui ne fut exigé, en France, de la noblesse d’Empire.

Dans de telles conditions, le régime en place peut-il encore tenir ? Il y évidemment ceux qui se font des illusions, tel Reza Pahlavi, fils du chah, qui, prenant ses désirs pour des réalités, annonce la chute prochaine de l’État iranien (Le Matin, 15 janvier 2020). Il y a encore ceux qui, aux USA, spéculent sur une semblable issue, à force de sanctions économiques visant à étrangler ce pays de plus de quatre-vingts millions d’habitants, en attendant une guerre qui ne viendra pas forcément, la Maison-Blanche commençant à être plus qu’échaudée en matière d’équipées colonialistes.

Et puis, il y a la réalité du terrain. Celle d’un nationalisme exacerbé, les manifestations ayant salué le général Qassem Soleimani en sont la preuve. Mais également celle d’une certaine lassitude, sachant que même si agressés de toutes parts depuis maintenant près de quarante ans, les Iraniens en ont aussi assez de vivre sous pression, même si l’État censé les représenter à l’international l’est tout autant.

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17 janvier 2020 à 16:59

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