[Reportage exclusif] En Moldavie, le pays qui accueille des milliers de réfugiés ukrainiens

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Petite enclave à l’est de la Roumanie, amputée d’une partie de son territoire suite à une guerre civile au début des années 90, pays le plus pauvre d’Europe avec un salaire minimum ne dépassant pas les 45 euros, la République de Moldavie est un pays bien peu connu des Français. Et pourtant, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, cet ancien territoire soviétique est propulsé au premier plan des enjeux géostratégiques des dix prochaines années. Frontalière avec l’Ukraine, la Moldavie semble être une destination de transit majeure pour les réfugiés fuyant les combats. Avec près de 75 % de sa population russophone et une économie largement dépendante des exportations russes, la Moldavie s'inquiète de l'appétit de Poutine. Il pourrait user de son influence pour la faire entrer dans son giron, comme il l'a fait avec la Transnistrie, arrachée à la Moldavie en 1992 après une guerre meurtrière de plusieurs années.

La question agite les Moldaves. À notre arrivée sur leur territoire et après un contrôle frontalier de deux heures, nous nous enquérons auprès des douaniers sur les raisons d’un tel traitement alors que les autres véhicules passent sans encombre. Deux policiers en civil, dédiés au renseignement selon eux, nous expliquent dans un anglais correct à l’accent slave : « Beaucoup de faux journalistes russes cherchent à entrer dans notre pays et à diffuser une propagande pro-Kremlin […] Poutine cherche à diviser notre pays mais nous reconnaissons toujours ses agents et nous ne les laissons pas entrer ! »

Lorsqu’on les interroge sur la situation en Ukraine et l’expansionnisme russe, ils répondent : « On n’a pas peur de Poutine, c’est un fou. Mais l’adhésion de notre pays à l’Union européenne serait une bonne chose pour le peuple moldave ! »

Cette idée, qui semblait folle jusqu’à aujourd’hui, tant les infrastructures régaliennes moldaves laissent à désirer (réseau routier à l’abandon, pauvreté endémique…), devient de plus en plus plausible. L’Union européenne a annoncé lancer la procédure d’examen de la demande d’adhésion de la Moldavie. La Commission européenne devra se prononcer avant de faire voter les 27 pays membres de l’Union. Si cette demande est acceptée, une ligne rouge pourrait être franchie pour Vladimir Poutine qui, sans le moindre doute, ne resterait pas de marbre face à l’intégration d’un autre pays russophone à l’Union européenne. Toutefois, conscient de sa dépendance économique vis-à-vis de la Russie, le gouvernement moldave a affirmé vouloir « rester neutre » dans le conflit ukrainien et ne pas « s’associer aux sanctions occidentales ni rejoindre l’OTAN ».

Un pays transit des réfugiés ukrainiens

Après avoir traversé le pays dans sa largeur, nous arrivons à Palanca, petite commune isolée dans la campagne moldave, à 200 mètres de la frontière ukrainienne. Dans un étonnant élan de solidarité, les autorités moldaves ont édifié un semblant de camps d’accueil afin d’offrir nourriture, vêtements chauds et bouteilles d’eau aux réfugiés fuyant les combats. Alors que le sud-ouest de l’Ukraine n’était pas encore concerné par le conflit, les combats se sont intensifiés, ces quatre derniers jours. Mykolaev et Odessa, les deux grandes villes ukrainiennes bordant la mer Noire, connaissent désormais des bombardements et de nombreux échanges de tirs. Dans la précipitation, des milliers d’Ukrainiens (femmes et enfants principalement) font le choix de l’exil et cherchent à pénétrer en Moldavie. Dans le camp, nous avons pu échanger avec quelques-uns d’entre eux. Tous nous ont assuré avoir pris cette décision le cœur lourd et avec l’idée de revenir chez eux, une fois le conflit terminé. L’arrivée dans les camps de réfugiés est éprouvante : la température avoisine les -5 degrés et la neige tombe intensément. Un vent glacial souffle vers l’est et brouille la visibilité autant qu’il glace les os de ceux qui attendent encore de pouvoir monter dans les bus. Irina, une Ukrainienne originaire de Mykolaiev, caressant les cheveux enneigés de son jeune fils, nous confie : « Mon mari est resté à la maison, il combattra quand on le lui demandera. J’espère rentrer en Ukraine bientôt. Pour l’instant, je compte rester en Moldavie. »

Des ONG humanitaires sont présentes sur place, notamment Acted, une association française. L’une des volontaires nous confirme que « les conditions climatiques sont très difficiles pour les réfugiés qui sont épuisés par leur voyage. Nous leur avons apporté des vivres et leur fournissons toute l’aide physique et psychologique possible. »

La plupart des réfugiés à qui nous avons posé la question nous ont confirmé qu’ils souhaitaient rester en Moldavie en attendant de pouvoir rentrer chez eux. Mais, après avoir quitté le camp avec l’idée de passer la nuit à Chișinău, la capitale moldave, pour reprendre la route le lendemain matin, nous nous apercevons que tous les hôtels, auberges et chambres d’hôtes ont été réservés. Nous interrogeons alors un hôtel qui nous répond : « On reçoit des appels toutes les dix minutes pour des réservations de chambres. Parmi eux, une majorité de réfugiés ukrainiens. Chișinău n’est pas capable d’accueillir autant de gens d’un coup ! »

Lorsque nous arrivons à Iași, à la frontière roumaine, nous réalisons que très peu d’Ukrainiens resteront sur place… Des milliers de voitures font la queue pour passer en Roumanie et, ainsi, entrer dans l’Union européenne. La présence, parmi eux, de deux ou trois réfugiés dont l’origine ukrainienne reste à démontrer nous interpelle. Nous discutons avec ces trois hommes. Ils sont de nationalité turque. L’un d’entre eux nous lance : « Moi aussi, je serai bientôt à Paris ! »

La petite nation moldave doit tout à la fois faire face au transit de milliers de réfugiés ukrainiens, calmer les ardeurs parfois bellicistes de l’Occident et ne pas offenser son gigantesque voisin russe, au risque de voir renaître les tensions avec la Transnistrie… Avec leurs infrastructures d’un autre âge, les postes frontaliers du pays sont largement débordés ; nous aurons mis pas loin de quatre heures à rentrer en Roumanie. En Moldavie, la misère est plus visible que partout ailleurs en Europe. Des chiens sauvages errent sur les routes et des chevaux maigres et sales tirent encore des charrues. En ville, les façades des immeubles sont délabrées et dans les campagnes, les travaux publics sont à l'abandon. Quant aux routes, elles sont parfois inexistantes, remplacées par des pistes terreuses et cabossées qui martyrisent les suspensions de notre voiture… Et pourtant, ce spectacle miséreux contraste avec la sérénité d’un peuple qui n’hésite pas à une seconde à tout mettre en place pour aider ses frères ukrainiens engagés sur les routes de l’Ouest.

Vos commentaires

8 commentaires

  1. La Moldavie, n’était-ce pas le principal lieu de passage des Huns?
    On assiste depuis plus de 60 ans à l’implantation en Europe de l’ouest de populations exogènes qui forment des têtes de pont pour l’arrivée massive de leur semblables.
    Les gallo-romains ont connu ça dès le 3ème siècle pour finir totalement envahis au 5ème siècle. M’est avis que cette fois ce sera plus rapide.

  2. Les Moldaves sont à majorité roumains, y compris la langue officielle.
    Le pays à vécu longtemps sous occupation russe et soviètique , mais
    avant 1812 il faisait partie du Principat de la Moldavie et entre 1918
    et 1940 il faisait partie de la grande Roumanie.

  3. Une erreur s’est glissée dans l’article : la Moldavie est peuplée à 75% de roumanophones, pas de russophones. D’ailleurs, la langue officielle de ce pays est le roumain (la langue moldave n’existe pas). La Moldavie a été arrachée à la Roumanie et intégrée à l’URSS après la deuxième guerre mondiale et actuellement 25% de sa population a la nationalité roumaine.

    • Effectivement, cela semblait incompréhensible qu’ à 75% russophones , les Moldaves soient prêt à lutter contre les Russes.

  4. Vous écrivez « réfugiés » . C’est réfugiées qu’il faut écrire car, à part quelques hommes mobilisables mais d’origine africaine, ce sont des femmes et des enfants, quelques vieillards aussi , qui franchissent ces frontières incertaines . Vous confondez avec les hordes de migrants asiatico-africains en âge de porter les armes qui nous submergent tandis que nos soldats défendent leurs divers pays et y meurent .

  5. Tous ces pays, comme la Pologne sanctionnée par l’UE, nous montrent à quel point ils savent être accueillants et généreux ! Un modèle d’humanité, n’est ce pas ? Une autre qualité que nous sommes obligés de reconnaître à ces peuples là : leur fierté et le refus d’être pris pour des imbéciles ! Eux, au moins, savent faire la différence entre vrais réfugiés et envahisseurs sangsues incapables de s’adapter aux moeurs du pays qui les accueille.

  6. Faire entrer dans l’UE la Moldavie, la Géorgie et … l’Ukraine, comme le veux la va-t’en guerre madame von der Leyen, pour de suite après les faire adhérer à l’OTAN voilà qui va plaire à celui qu’on traite de « fou » mais que l’occident dans son ensemble pousse au crime. Qui est vraiment responsable dans ce conflit qui vient d’arriver ?

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