Alexandre Del Valle : « Israël en agent de la paix ? »

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Le géopolitologue Alexandre del Valle revient sur l'action du Premier ministre israélien Naftali Bennett, qui s'improvise médiateur dans la guerre russo-ukrainienne.

Vous êtes géopolitologue. Le Premier ministre israélien Naftali Bennett ne ménage pas ses efforts pour trouver une solution au conflit entre l’Ukraine et la Russie. On l’a vu faire plusieurs allers et retours. Concrètement, pourquoi Israël essaie, par la voix de son Premier ministre, de trouver une solution au conflit ? Quel est l’intérêt de l’État hébreu ?

Il y a une réalité imparable, c’est qu’Israël a besoin de la Russie, qui n’est pas forcément un allié au sens géopolitique, mais il y a une coopération pragmatique entre les deux pays sur deux grands dossiers extrêmement vitaux pour l’Israël.

Premièrement, quand Israël bombarde des positions du Hezbollah en Syrie, elle le fait en consultant les Russes qui pourraient l’en empêcher. Pour l’instant, les Russes ont laissé systématiquement l’aviation israélienne bombarder des bases du Hezbollah ou des acheminements d’armes venus d’Iran.

Le deuxième dossier très important, c’est que les Israéliens ont très peur du nucléaire iranien. M. Bennett a également parlé du danger du retour de l’Iran sur le marché international, tel que le veut Biden pour le retour de l’Amérique dans l’accord sur le nucléaire iranien. De cela, Bennett voulait maintenir la discussion avec Poutine. Pour pouvoir continuer à parler et demander des choses à Poutine sur les bombardements en Syrie ou sur le nucléaire iranien, il faut se parler. L’intérêt d’Israël, c’est de parler aimablement avec la Russie, qui est à la fois proche d’Israël et de l’Iran. Israël sait donc que la Russie est un pays incontournable pour parler des problèmes liés à l’Iran ou au Hezbollah ou au terrorisme en Syrie ou ailleurs.

Bennett n’est pas allé voir Poutine uniquement pour être médiateur de l’Ukraine, il était motivé parce que le chancelier allemand, venu une semaine plus tôt en Israël, le lui a demandé. L’Allemagne, aujourd’hui, est très gênée. Elle va devoir saboter son économie si on renforce les sanctions. Elle va payer très cher, même les sanctions actuelles. C’est le pays qui était le plus lié à la Russie concernant ces histoires de gaz. L’Allemagne est obligée de hurler avec les loups, de s’indigner avec les indignés et de surfer sur les émotions comme tous les hommes politiques européens.

L’Allemagne ne peut pas dire tout haut ce qu’elle fait tout bas. L’Allemagne a demandé à Israël d’aller négocier pour elle. On n’a pas tous le contenu des négociations, mais je suis persuadé que l’Allemagne a voulu faire passer des messages un peu plus doux aux Russes. Un chancelier allemand ne peut pas dire ouvertement « On n’est pas votre ennemi, on n’a rien contre vous ». Aujourd’hui, un homme politique européen ne peut que parler mal de Poutine et ne pas lui serrer la main.

L’Allemagne a quand même besoin de continuer à préserver certaines choses avec la Russie, notamment des intérêts économiques et énergétiques. Le Premier ministre israélien a probablement porté un message.

Les Israéliens font un très bon coup de soft power et montrent que cet État, souvent accusé d’être un facteur de guerre, se pose avant la Chine en une puissance capable de parler avec tout le monde, avant même que la Chine ait l’idée d’être médiateur. Israël est à la fois en bon terme avec l’Ukraine et avec la Russie. Dans les deux pays, il y a des doubles nationaux ou des juifs et, inversement, il y a beaucoup de Russes mais aussi des Ukrainiens en Israël. Israël est lié à la Russie, avec laquelle elle a de bonnes relations, même s’il n’y a pas toujours les mêmes intérêts et avec les États-Unis. C’est vraiment un pays intermédiaire qui est un des seuls pays au monde qui peut vraiment parler aux deux camps.

Il y aurait effectivement 800.000 citoyens israéliens d’origine russe et 500.000 d’origine ukrainienne sur un pays de 9 millions d’habitants. Ce rôle qu’a l’État d’Israël aujourd’hui n’est pas le rôle historique de la France. Israël n’a-t-il pas détrôné la France sur ce rôle malgré les gesticulations d’Emmanuel Macron ?

Il est vrai que si la France n’était pas membre de l’OTAN et si elle était comme la Suisse ou comme d’autres pays, elle pourrait avoir une politique extrêmement neutre. La France a retrouvé le commandement militaire intégré de l’OTAN et n’a jamais quitté l’OTAN. La France veut être le leader de l’Union européenne. De plus, la France préside depuis plusieurs mois l’Union européenne. C’est très difficile pour la France d’avoir une politique libre qui serait celle des seuls intérêts de la France, car sous Macron et sous cette présidence française de l’Union européenne, la France a dû mal à ne pas parler comme le Parlement européen qui avait acclamé Zelensky et demandé à armer les rebelles ukrainiens contre la Russie.

Il est très difficile de négocier si, en même temps, vous avez participé à une prise de position pour un camp contre l’autre. Tandis qu’Israël n’a voté aucun envoi d’armes et n’a pas voulu prendre parti, même si à l’ONU elle a été obligée de condamner l’occupation. Pour le reste, elle n’a fait aucune sanction. Elle n’a même pas interrompu les vols. Lorsque les compagnies n’étaient plus assurées, l’État israélien a continué à assurer les compagnies aériennes pour être sûr que l’on continue à garder des flux vers la Russie comme avec l’Ukraine. Israël est davantage capable d’être autonome et d’avoir une politique d’indépendance que la France. C’est un paradoxe.

Aujourd’hui, Israël a donné une leçon d’indépendance à la Russie comme l’ont fait les Émirats arabes unis, autre grand allié de l’Occident, en refusant de voter la condamnation contre l’ONU aux Nations unies, et veut garder de très bonnes relations.

Certains pays comme Israël sont capables d’être parfois, sur certains dossiers, un peu plus pragmatiques que l’Union européenne, qui est quand même une structure qui s’est étendue au détriment des intérêts russes depuis des années. L’Union européenne comme l’OTAN suivent la même trajectoire. Ils sont considérés comme deux organisations qui grignotent un territoire jadis contrôlé par l’Union soviétique. C’est pour cette raison qu’il est difficile d’être neutre lorsqu’on est membre important de l’Union européenne.

La plupart des grandes villes ukrainiennes sont aujourd’hui encerclées par l’armée russe. On a cru lire que le président Zelensky était en train de chercher un compromis. Il a par exemple déclaré qu’il ne ferait plus de l’entrée dans l’OTAN de l’Ukraine une priorité. Il serait prêt à reconnaître l’indépendance de la Crimée et des deux Républiques autonomes. Est-on en droit d’espérer une fin de conflit ?

Il est certain que si Zelensky reconnaissait l’indépendance du Donbass et le caractère russe de la Crimée, ce qui paraît très difficile à accepter, cela pourrait être une voie de sortie de crise assez rapide. Si c’était aussi clair que cela, on serait déjà dans des négociations très avancées. C’est exactement ce que demandent les Russes. Je pense que si Zelensky se dit ouvert, il n’a pas totalement accepté cela, sinon cela se saurait, et les Russes auraient déjà dit qu’ils ont atteint une grande partie de leur objectif de guerre. Les Russes disent parfois que c’est toute l’Ukraine, mais les dernières déclarations de Vladimir Poutine étaient l’indépendance du Donbass et l’annexion de la Crimée à la Russie et la démilitarisation, neutralisation et finlandisation de l’Ukraine. Ce que vous dites semble très proche. Si Zelensky continue à afficher cette ouverture et que cela devient quelque chose de ferme, voire de signable dans un accord, alors je pense qu’un cessez-le-feu peut être possible.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

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