Que du bonheur !

"Je suis allé sur les Champs-Élysées, il n’y avait que du bonheur pour ceux qui étaient là", a déclaré Gérard Collomb, le 2 janvier, au micro d’Europe 1. Donc, RAS, TVB, QDB (Que du bonheur) ! La Rochefoucauld disait que "le bonheur n’est pas un événement, c’est une aptitude", et contre toutes apparences, le locataire de Beauvau, en ce début d’année, présente de belles aptitudes.

D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur, pour faire partager sa béatitude, devrait envoyer une petite carte dédicacée aux mille et quelques propriétaires qui ont retrouvé leur bagnole brûlée en bas de chez eux le 1er janvier en guise d’étrennes. Mais soyons optimiste – faut l’être en début d’année - : on peut imaginer qu’un grand nombre de ces caisses roulaient au gasoil. Pas bien, le gasoil. C’est, du reste, pour cela qu’il vient d’augmenter : plus 8 centimes le litre, voire 12 centimes à certaines pompes, probablement éco-responsables. Donc, finalement, une belle occasion de passer à l’essence. Ça brûle mieux. Faut penser, dès maintenant, à la prochaine Saint-Sylvestre. Et, des fois qu’on gagne au Loto^®, pourquoi pas acheter une voiture électrique ? Que du bonheur, donc.

Poursuivant sa mélodie du bonheur, Gérard Collomb nous déroule un sophisme imparable - un bonheur de sophisme : "Il y avait 140.000 policiers et gendarmes mobilisés et cinq ont été agressés, ça veut dire qu’ailleurs, ça s’est bien passé." Vu comme ça, effectivement... 140.000 personnes mobilisées (deux fois les effectifs de la force terrestre, fer de lance de notre armée de terre, tout de même…) pour qu’il ne se passe rien – ou à peu près ? Peut-on se satisfaire de cela quand quelques patrouilles d’« hirondelles », armées d’un bâton de police, suffisaient à garder la paix dans nos villes, il y a à peine un demi-siècle ? Une question me traverse l’esprit : combien faudra-t-il mobiliser d’agents le jour où cela se passera un peu moins bien ? Mais, pour l’instant, chut ! Laissons M. Collomb faire ses longueurs dans la piscine du bonheur.

Un bonheur ne venant jamais seul, on apprend, en ce début d’année, à deux semaines - comme par hasard - de l’ouverture des états généraux de la bioéthique, que 60 % des Français seraient désormais favorables à la PMA pour les couples de femmes. Ils étaient 24 % en 1990. À la bonne heure, donc ! Et si on leur avait posé la question comme cela : « Seriez-vous d’accord pour que vos futurs petits-enfants aient deux mamans au lieu d’un papa et une maman ? » Quel serait alors le pourcentage ?

C’est fou, d’ailleurs, comme on peut trouver son bonheur dans un sondage. Tenez, celui-ci, qui n’a sans doute pas été réalisé au petit bonheur la chance par l’institut Louis-Harris : 59 % des personnes interrogées se disent optimistes pour elles-mêmes et leurs proches. Elles étaient 50 % en 2014. Un sondage qui ne manque pas de mentionner que les électeurs du Front national, eux, ne sont que 42 %. Certes, l’optimisme n’est pas le bonheur - vous avez quatre heures pour réfléchir sur le sujet et Gabrielle Cluzel ramassera les copies à la fin ! -, mais comme il va devenir inconvenant de ne pas être heureux dans la France d’Emmanuel Macron, ne voit-on pas là se dessiner un nouveau clivage dans ce pays ?

Ce sondage me fait penser à ce dialogue entre Michel Bouquet et Jeanne Moreau dans le film La mariée était en noir :

"Puis-je faire un vœu impossible ?
Pourquoi impossible ?
Parce que je suis pessimiste.
Quelqu’un a dit il n’y a ni optimistes, ni pessimistes. Il n’y a que des imbéciles gais et des imbéciles tristes.
Eh bien, je suis un imbécile triste…"

Pour terminer, puis-je vous soumettre un autre sujet de dissertation ? Commentez cette phrase de Saint-Just, surnommé l’archange de la Terreur : "Le bonheur est une idée neuve en Europe." Vous vous appuierez, notamment, sur les discours résolument européens du Président Macron.

Sinon, pour reprendre le titre du livre de feu Madame la comtesse de Paris, Tout m’est bonheur !