Quatre procès symptomatiques illustrent pourquoi se développe une défiance généralisée des citoyens envers la justice légale. Deux s’ouvrent cette semaine (Fillon à Paris, Assange à Londres) ; un troisième s’ouvrira le 20 mars aux assises de Paris (Bouaké) ; un quatrième pourrait être instruit dès que l’immunité présidentielle d’Emmanuel Macron sera levée.

Alors que la judiciarisation de la société envahit tous les actes de la vie quotidienne, les cas flagrants de dévoiement de la justice, entre abus et déni, se multiplient et nuisent à la cohésion sociale. Ceci vaut particulièrement dans les pays qui proclament le plus fort leur État de droit indépendant, où les attentes des citoyens sont naturellement plus élevées.

Dans les pays organisés à l’extrême jusqu’à l’étouffement normatif comme la France, la machine juridique s’emballe et ne suit plus le rythme des dossiers, tandis que persistent diverses formes discrètes de copinage.

Dans les pays de culture juridique civiliste récente, comme la plupart des pays africains, l’impunité est à peine voilée et les décisions officielles non exécutées, pour des raisons de clanisme.

C’est à croire que le degré d’activité juridique est inversement proportionnel à celui de justice rendue. Or, copinage et clanisme ne sont que des formes différentes de favoritisme.

Pour exemple d’abus de justice, le dossier Fillon qui, en pleine période électorale, début 2017, se faisait disqualifier pour une pratique non illégale et très largement répandue de travail parlementaire familial. Un acharnement populo-médiatique organisé a été suivi par une justice préventive qui ouvrira enfin son procès ce jour. Présumé innocent au regard de la loi, il avait pourtant été préjugé coupable et condamné à l’inéligibilité sans bénéficier du temps nécessaire à sa défense.

Autre exemple, c’est également ce 24 février que s’ouvre, à Londres, le procès de Julian Assange, fondateur de l’ONG WikiLeaks, héraut de la transparence politique mondiale. Après avoir été protégé pendant sept ans, par l’Équateur, des foudres états-uniennes, il risque maintenant l’extradition et 175 ans de prison (!) suite à un changement de direction de son « pays refuge », démontrant que la puissance publique peut être sujette à solution de continuité administrative, selon les accointances diplomatiques du moment ou au gré de simples règlements de comptes politiques.

Pour exemple de déni de justice, le 20 mars prochain s’ouvrira, aux assises de Paris, le procès par contumace de trois pilotes mercenaires biélorusses, auteurs de l’assassinat, le 6 novembre 2004, de neuf soldats français dans le camp militaire français de Bouaké, en Côte d’Ivoire. Après quinze ans de procédures acharnées, on doit à l’avocat de parties civiles françaises Jean Balan le récent et édifiant récit Crimes sans châtiment, très documenté et convaincant, de l’un des plus grands scandales de la Ve République, si l'on en croit cet ouvrage, par obstruction volontaire à la justice de trois ministres d’État français et d’une partie de l’appareil politique, administratif et judiciaire, uniquement pour se couvrir.

Autre exemple d’injustice ressentie par le « petit peuple de justiciables », un "procès à venir" suite à l'accusation documentée par un avocat fiscaliste de renom, avec dépôt de plainte, de non-déclaration, par Emmanuel Macron, d’une valeur de 500.000 euros de son patrimoine, en 2014 et 2017. Déboutée, récemment, pour cause d’immunité présidentielle, la plainte sera à nouveau déposée lors du départ du « résident de la République ». En attendant, et alors que ce motif est passible d’inéligibilité, le même contribuable étourdi pourra se représenter en 2022.

Autant d’exemples qui ne réconcilieront pas les citoyens avec la justice, dont Jean-François Colosimo dit, avec clairvoyance, dans Aveuglements, que « la déflation morale entraîne l’inflation légale, qui finit en domination pénale ». Or, pas de paix sans justice, affirmait déjà saint Augustin, évêque africain d’Hippone.

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24 février 2020 à 20:28

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