C’était le 5 février 2003. Devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire d’État américain Colin Powell brandissait une petite fiole censée contenir de l’anthrax afin d’accuser le régime irakien de Saddam Hussein de développer des armes bactériologiques et de détenir des armes de destruction massive. À cette accusation s’ajoutait celle de soutenir le terrorisme et d’avoir des liens avec Al-Qaïda. Une source l’avait certifié aux services de renseignement américain, affirmait le secrétaire d’État : Saddam et Ben Laden avaient passé un accord. Il ne fallait donc pas en douter, l’Irak faisait peser sur le monde une très grave menace.

Nous étions moins de deux après les attentats du World Trade Center, un séisme qui avait dévoilé la vulnérabilité de l’« hyperpuissance » américaine. Après l’effondrement de son rival soviétique, l’Empire croyait pourtant ne plus avoir d’adversaire à sa démesure. Le géant, qui avait baissé la garde, redécouvrait brutalement que le monde n’avait pas cessé d’être dangereux. Portée par un messianisme qui lui donnait la certitude d’agir au nom du Bien, l’Amérique casquée de George W. Bush sonnait alors le tocsin et se préparait à partir à la recherche de ses ennemis qu’elle n‘avait pas vu venir jusqu’à elle.

Son poing vengeur allait s’abattre, dans un premier temps, sur l’Afghanistan, mais cela ne pouvait suffire. Ce n’était que la première étape d’une croisade contre l’« axe du Mal » et ses suppôts. « Ce que nous avons trouvé en Afghanistan confirme que, loin de s'arrêter là, notre guerre contre le terrorisme ne fait que commencer », déclarait le président américain lors de son discours sur l’état de l’Union, en janvier 2002. Il désignait alors trois pays dont les régimes, affirmait-il, parrainaient le terrorisme et menaçaient l’Amérique et ses alliés avec des armes de destruction massive : la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak.

Une triade maléfique dont le monde finirait par se libérer grâce à la détermination des États-Unis. « Certains gouvernements seront timides face à la terreur », avertissait Bush, mais il ajoutait aussitôt : « Ne vous y trompez pas : s'ils n'agissent pas, l'Amérique le fera. »

Et l’Amérique avait agi, envahissant l’Irak, le 20 mars 2003, un mois et demi après que Colin Powell avait présenté ses informations « sûres et fiables » aux Nations unies. Une « guerre préventive » lancée sans l’approbation de l’ONU, mais qu’importe le droit international quand on s’engage dans la lutte du Bien contre le Mal ? La morale prime le droit. Et ce monde anarchique devait accepter d’être refaçonné par les États-Unis, si nécessaire par la force. Les néoconservateurs qui entouraient Bush en étaient certains, le changement de régime en Irak provoquerait un « effet domino » dans tout le Proche-Orient où fleurirait bientôt la démocratie dont l’Amérique était le modèle indépassable.

La grandeur de cet objectif autorisait alors quelques transgressions. Avec les règles internationales, bien sûr, mais aussi avec la vérité, puisqu’il n’y avait ni armes de destruction massive en Irak ni pacte faustien conclu entre Oussama ben Laden et Saddam Hussein. De la petite fiole de Colin Powell allait alors sortir un bien mauvais génie qui se préparait à déchaîner l’apocalypse sur la Mésopotamie afin qu’adviennent les cieux nouveaux et la terre nouvelle qu’entrevoyaient les néoconservateurs dans leurs rêveries millénaristes.

« Choc et effroi » (« Shock and Awe »), c’est ainsi que le Pentagone nommait son plan de frappes aériennes massives qui devait détruire psychologiquement des Irakiens sidérés et annihiler leur volonté de combattre. Et, de fait, le 19 mars 2003, une pluie de missiles s’était abattue sur Bagdad, semant la terreur. Le lendemain, en toute illégalité, les Américains, à la tête d’une coalition de 49 pays, lançaient leur offensive qui allait dévaster le pays.

En 2013, dix ans après le déclenchement de la guerre, une revue scientifique américaine, PLOS Medecine, avait publié une étude qui évaluait à environ 500.000 le nombre de morts irakiens liés au conflit, sur une période allant du début de l’invasion, en 2003, au retrait définitif des Américains, en 2011. Ce n’était ni la paix ni la sécurité que les États-Unis avaient apportées à l’Irak et au Proche-Orient, mais le chaos et la désolation.

En 2013, également, un Colin Powell repentant avait donné une interview au Nouvel Observateur. Interrogé sur sa prestation du 5 février 2003, il plaidait l’ignorance : « Ce n'était pas un mensonge délibéré de ma part. Je croyais à ce que je disais », affirmait-il. Il n’avait fait « que transmettre ce que les seize agences de renseignement [lui] disaient ».

Sa petite fiole resterait pourtant dans les mémoires comme le symbole de la manipulation et du cynisme d’une Amérique saisie par l’hybris et n’hésitant pas à user d’une terrible violence pour imposer son idéologie et favoriser ses intérêts.

À l’époque, Jacques Chirac, dans un ultime sursaut gaullien, avait su dire non. Son vibrionnant ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, avait prononcé un mémorable discours contre la guerre devant le Conseil de sécurité de l'ONU, neuf jours après celui de Colin Powell.

Vingt ans plus tard, alors que l’Europe s’est embrasée et qu’on annonce une Troisième Guerre mondiale, seuls résonnent le fracas des armes et les déclarations martiales. La voix de la France s’est éteinte.

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04 février 2023 à 12:34

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49 commentaires

  1. Les mensonges de 2003 ont enfanté DAECH et la montée des islamismes, la mainmise des Chiites iraniens sur les Chiites irakiens.
    Les mensonges de 2014 à aujourd’hui pourraient bien mener à la guerre mondiale nucléaire parce que les Russes ne cèderont pas plus devant les Léopards qu’ils n’ont laissé passé les Tigres.

  2. Ces abominables menteurs devraient être jugés par le Tribunal Pénal International pour haute trahison et sévèrement punis.

  3. Pour les gouvernants américains, mentir est devenue une de leur spécialité et en ce moment, c’est l’affaire de l’Ukraine avec la manipulation de ce zelznski dont ils lui ont gonflé le  » mou » en lui faisant croire de faire rentrer son pays dans l’otan et l’on voit le résultat de cette manipulation

  4. c’est vrai que les americains ont un peu menti… mais Saddam avait envahi le Koweit precedemment et gazé sa population kurde peu avant… donc, tout était possible !
    Finalement personne ne regrette Saddam et globalement il fallait le faire.
    Chirac (et de Villepin)a eu son heure de gloire en disant non, soucieux de plaire aux Arabes et a l’OPEP.
    Il s’est encore trompé d’ennemis!

    1. Un peu, rien qu’un peu !
      Halabja c’est en 1988, en marge de la guerre Iran-Irak. L’affaire du Koweït c’est 1991.
      On est en 2003.
      En 2003, l’ONU s’oppose a cette guerre. Cette guerre est Illégale.
      La chute de Sadam ? ce sont les affiliés de l’Iran qui prennent le pouvoir en Irak et c’est la porte ouverte aux luttes entre islamistes …. dont sortira le Khalifat
      Globalement « il fallait le faire » … Comme ce fut fait en Libye Comme furent lâchés Moubarak et Ben Ali, ces horribles dictateurs, comme furent armés et soutenus les adversaires islamistes de cet affreux Bachar el Assad …
      Nous aimerions vous entendre sur les effets et résultats de ces brillantes politiques.

  5. Et si les syndicats gauchistes, au-lieu de lutter bêtement contre une réforme des retraites pourtant largement justifiée, tant par le désastre économique que par le désastre de la natalité française qu’ils ont validés, commençaient à réaliser que Macron doit être écarté du Pouvoir de toute urgence, après que Sarkozy et Hollande aient tracé la route de la soumission à L’Europe devenue américaine?
    Laquelle soumission à l’Amérique viscéralement anti-russe est devenue un extrême danger de guerre en Europe !
    Que les syndicats gauchistes soutiennent donc les intérêts des USA n’est il pas le signe d’une bêtise-crasse!

  6. Après les mensonges honteux des USA sur Sadam Hussein, et la destruction de la Lybie par Europe interposée, lesquels a tes guerriers ont ouvert la porte aux djihâds en Europe, le non respect de leurs engagements avec les Russes et leur contrainte honteusement camouflée de la cobelligérance de l’Europe contre les Russes entraîneront -ils la guerre mondiale dont ils rêvent en espérant régler leur compte à la Russie et à la Chine tout en ayant à reconstruire l’Europe détruire comme en 45 ?!
    Sortie urgente de l’OTAN = sécurité nationale .
    Charles de Gaulle, où êtes vous ?

  7. Michel Sardou chantait: « Si les ricains n’étaient pas là ». Oubliant tout de même un peu que si les Russes n’avaient pas été là , à contenir et fixer un grand nombre de troupes allemandes sur le front de l’Est, les Américains et leurs alliés n’auraient peut-être pas réussi le débarquement du 6 juin 44. Aujourd’hui, on constate que d’autres que ce chanteur ont également chassé de leur mémoire cette indispensable collaboration.

    1. Contenir et Fixer ? L’armée soviétique au prix de pertes gigantesques a détruit le potentiel de l’armée allemande. Cela n’enlève rien aux sacrifices américains en Europe, mais l’échelle n’est pas la même. Ne pas oublier non plus les efforts Britanniques et les contributions très significatives des Polonais, des Français et des mouvements de Résistance.
      La vraie grande affaire américaine de la 2° guerre mondiale, c’est le Pacifique.

      1. Après Stalingrad et Koursk (bataille dans la quelle le Hitler engage tout ses meilleurs éléments) il ne restera à l’Allemagne qu’un potentiel miliaire réduit qui lui interdira toute offensive. Partout sur la défensive l’Allemagne ne fera que reculer, à l’Est comme à l’Ouest, jusqu’à la capitulation. L’offensive des Ardennes n’est qu’un sursaut désespéré qui ne dure que 3 semaines et qui aurait pu se terminer encore plus vite si la météo n’avait pas été aussi rude …. et les anglo-américains un peu mieux « organisés »

    2. Des millions de Russes sont morts pour libérer l’Europe des nazis. Et aujourd’hui l’Europe arme des nazis contre les Russes.

  8. Si cela n’était que le seul mensonge mais hélas aujourd’hui je me refuse à croire tous ces gouvernements il faudra sans doute attendre la declassification des documents mais quid de l’assassinat de Kennedy et aujourd’hui quid de cette mascarade de covid de cette guerre par procuration des États-Unis de ce soit disant dérèglement climatique de cette soi-disant pénurie énergétique et cetera leurs paroles n’est plus du tout crédible…

  9. Juste rappel de cet événement tragique pour le peuple Irakien, les usa dans leur conquête et défense de leurs intérêts entraine l’Europe sur une pente savonneuse, dont cette dernière n’en sortira pas indemne, tout cela pour le bien de son maître…

  10. Une possible troisième guerre mondiale avec toujours les mêmes à la manoeuvre , que voulez vous le camp du  » bien  » peut tout se permettre .

  11. De tous temps, le principal ennemi de la France a toujours été le monde anglo-saxon et non les teutons ou les slaves comme on essaie de nous le faire penser. Si les Américains nous ont aidé en 18 et en 44, c’est pour mieux nous dominer et nous vassaliser. De Gaulle l’avait compris et Mitterrand s’est laissé acheter comme l’a dénoncé PM Couteaux récemment sur Sud-Radio, de même que Sarko. Depuis les mensonges et les propagandes n’ont fait qu’augmenter

  12. Le mensonge fondateur du « On peut tout se permettre car ils acceptent n’importe quel mensonge » est bien celui de la version officielle des attentats aux USA, il y a 21 ans. Cette version officielle dit en substance que l’aluminium est infiniment plus dur que l’acier, acier qui, lui, ne présente aucune résistance et s’émiette tout seul, que le béton se transforme en poussière spontanément, que les réacteurs sont d’un avion de ligne sont moins durs que des fenêtres, qu’un avion disparaît sous terre en tombant et qu’il n’en reste rien, et bien d’autres énormités.

  13. Les USA s’arrogent le droit de massacrer des peuples ,ils appellent ça le DROIT D’INGERENCE !
    Par contre la Russie qui vient au secours d’un peuple frère martyrisé depuis plus de 8 ans c’est une agression .
    L’ Ukraine terrain de jeu de la famille Biden depuis au moins 2008 .Le fils administrateur de la sté Burisma pour 50 000$ par mois (salaire moyen environ 178 $ pour le peuple) dirigée par Kolomoyskiy le mentor de Zelensky un tiers des terres agricoles exploitées par trois grosses sociétés américaines dont Monsento .. etc.. etc.. là cela ne va pas!!

  14. Le conflit en Ukraine un juteux marché pour le lobby militaro-industriel qui se gave, certains ukrainiens bien placés trafiquent et revendent la moitié des armes qu’on leur fournit à tort où est la PAIX dans tout ça ? On a inventé la guerre moderne pour que les américains connaissent la géographie parait-il ! Tout n’est qu’affaire de pouvoir et d’argent c’est lamentable. Les Etats-Unis continuent à mener le jeu et les idiots d’européens adhérent bravo. Nous sommes co-belligérants c’est un scandale ! Il faut arrêter tout ça ne plus donner ni d’argent ni d’armes ! En plus vous verrez la reconstruction profitera surtout aux entreprises allemandes et américaines.

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