[Au fil de l’eau] Parlons de la grève : un droit, pas un totem !

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Chaque grève donne l’occasion de poursuivre ce débat apparemment sans fin sur l’instauration d’un service minimum dans les transports publics – et d’autres services publics aussi, d’ailleurs, pourquoi pas ? La question est toujours posée dans les mêmes termes. Les usagers réclament de ne pas être les premières victimes des mouvements sociaux - drôle d’idée, comme dirait Pierre Daninos, d’utiliser le mot « mouvement » pour dire que tout va s’arrêter… Les représentants syndicaux expliquent que le droit de grève est constitutionnel et, par conséquent, que toute forme de service minimum constituerait une atteinte directe à la Constitution.

Tout cela mérite quelques explications. Premièrement, notre Constitution de 1958 ne fait pas mention du droit de grève. Celui-ci n’est constitutionnel que depuis 1971, par une décision du Conseil constitutionnel considérant le préambule de la Constitution de 1946 comme partie intégrante de notre actuelle Constitution. Par ailleurs, la grève n’a été clairement définie en droit que par un arrêt de la Cour de cassation de 2006. Le premier constat qu’on peut en tirer est donc que la constitutionnalité du droit de grève n’est pas toujours allée de soi et qu’elle a même tardé à s’affirmer. Pour dire les choses de manière précise, il faut les formuler ainsi : le droit de grève n’est pas présent dans la Constitution mais il est garanti par le bloc de constitutionnalité. Ça ne change pas grand-chose en pratique, mais cette précision n’est tout de même pas inutile : le droit de grève est un droit, pas un totem.

Deuxièmement, ce même préambule indique expressément deux points. Le premier est que le droit de grève fait partie des « principes politiques particulièrement nécessaires à notre temps ». On comprend que le constituant de 1946, inspiré par le Conseil national de la Résistance, avait à cœur d'affirmer fortement des droits sociaux fondamentaux. Toutefois, le texte indique plus loin : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. » Il appartient donc au législateur de déterminer les conditions d’exercice de ce droit. Il n’a d'ailleurs pas manqué de le faire, puisque bon nombre de personnes n’en disposent pas (les militaires, les surveillants pénitentiaires, les magistrats, etc.) ou y ont accès de manière limitée (les personnels hospitaliers, par exemple). Et tous peuvent en être privés temporairement en cas de mobilisation générale ou de réquisition. Par conséquent, la présence du droit de grève dans notre bloc constitutionnel ne constitue en rien une garantie illimitée, mais au contraire une invitation à y poser des limites raisonnables, c’est-à-dire compatibles tant avec la possibilité de faire grève qu'avec le bien commun.

Dès lors, la question du service minimum doit se poser de cette façon : un tel service constituerait-il en lui-même une atteinte au principe du droit de faire grève ? Ici intervient la notion d’équilibre entre le principe constitutionnel et le pouvoir législatif. Un service minimum réel représenterait une obligation de maintenir, quels que soient le nombre des grévistes et la durée du mouvement de grève, un certain nombre de services permettant au peuple français de faire face a ses obligations. On donnerait ainsi priorité à ceux qui veulent ou doivent satisfaire ces obligations, par rapport à ceux qui, même pour de bonnes raisons, souhaitent se soustraire temporairement aux leurs (le respect de leur contrat de travail) pour soutenir leurs revendications. Cela signifierait en fait que la liberté d’aller et venir est d’une valeur supérieure au droit de faire grève. Y aurait-il quelque chose de choquant à cela ? Apparemment pas. Ajoutons que la probabilité que 100 % des personnels d’une entreprise soient grévistes pour une durée indéterminée est extrêmement faible. L’installation d’un service minimum ne mettrait donc pas en cause le droit de ceux qui veulent faire grève, dès lors qu’ils représentent rarement une grande proportion du personnel.

Il n’y a donc, ni du point de vue de la théorie du droit, ni du point de vue éthique, ni d’un point de vue pratique, aucune objection valable à mettre en place un service minimum. Visiblement, ce début d’année 2023 voit une recrudescence importante d’adhésions dans les mouvements syndicaux. Le contexte social s’y prête, ainsi que nous l’avons évoqué dans ces colonnes récemment. Un gouvernement avisé pourrait tenir compte de cette situation pour aborder la question : très certainement, le peuple français y est prêt, à défaut que les organisations syndicales le soient. Voilà un beau sujet de dialogue social, et plus encore de référendum, qui aurait plus de chances de succès que la pseudo-réforme des retraites n'en a d'aboutir. Ce gouvernement est décidément d’une maladresse insigne.

Jean-Frédéric Poisson
Jean-Frédéric Poisson
Ancien député des Yvelines, président de VIA - La Voie du Peuple

Vos commentaires

15 commentaires

  1. Un service minimum devrait être obligatoire en temps de grève pour permettre au personne qui doivent aller travailler par obligation financière se rendre absolument à leur travail, tout le monde ne peut pas se permettre de faire grève !…

  2. Tout le monde comprend l’utilisation de la grève comme moyen collectif pour les salariés de faire prospérer leurs revendications contre leur employeur : salaires et conditions de travail. Dans le contexte de la réforme des modalités de la retraite, la grève est utilisée comme un moyen de contester les décisions du gouvernement et/ou du parlement qui sont issus des consultations électorales. Les modalités de la retraite ne relèvent ni des rémunérations salariales ni des conditions de travail, mais de la cotisation généralisée de toute la population et des modalités d’utilisation du produit de ces cotisations dans le cadre de la vieillesse. La grève devient donc le moyen de remettre en cause les résultats du fonctionnement de la démocratie. Si l’on trouve cela normal, il devient logique de supprimer les outils de la démocratie.

  3. Vous inversez tous le problème. Vous êtes bien formatés. Les responsables des grèves sont macron et le gouvernement
    Ah j’ai oublié LR

  4. Un service minimum ?? Bien sûr mais pourquoi faire ?C’est tellement mieux d’emmerder les braves gens …

  5. Le plus élémentaire bon sens, sinon la sagesse, voudrait qu’en contrepartie de la sécurité de l’emploi les fonctionnaires n’aient aucun droit à se mettre en grève. Point. Les mécontents auraient toujours le droit de démissionner.

  6. La France est le pays des grèves. C est la greviculture. Le chantage et la grève sont les 2 mamelles des syndicats. Beaucoup de ces derniers font de la politique d extrême gauche. Il y a beaucoup de syndicalistes en France qui ne travaillent pas ou qui n ont jamais travaillé. C est une caste qui tient à ses privilèges. L extrême gauche a infiltré ces syndicats et bordelisent le pays. Les Français sont soumis,fatalistes et affirment que le droit de grève est constitutionnel.
    Donc,tout va bien….

  7. Ce service minimum n’a t’il pas été initié par Sarkozy et supprimé par Hollande ? Ou bien je l’ai rêvé

  8. Le pouvoir de nuisance des Syndicats est pris en compte par une Jurisprudence trop timide . L’attentat détruisant un centre de distribution électrique est à mettre au bilan car peu de gens, hors du métier SNCF, pouvaient savoir l’utilité de ce poste qui a flambé . Cette fois on entre dans l’acte criminel comme lors des déraillements d’après–guerre.

  9. La grêve n’est pas un droit et ne figure pas dans la constitution. ce sont les Juges qui se sont autorisé à décider en lieu et place des législateurs § Qui me prouvera le contraire ?

    • Si, un peu quand même. Reconnu dans un premier temps par une loi dite « Ollivier » du 25 mai 1864. Ensuite, paré de valeur constitutionnelle Alinéa 7 du préambule de la Constitution de la IVe République en date du 27 octobre 1946: « Le droit de grève s’exerce dans le cadres des lois qui le réglementent. »

  10. Les mouvements de grève des agents du service public ne devraient absolument pas bloquer les usagers. D’autres moyens existent que d’entraver la marche du pays tels le zèle ou l’affichage des revendications comme l’ont fait régulièrement les sapeurs pompiers. Le service minimum n’interdit pas de manifester dans le calme pour attirer l’attention. Toutefois, pour éviter tout mouvement de grève, il importe avant tout que l’électeur comprenne que son vote peut entraîner des revendications pour des mesures annoncées qui lui déplaisent. Il lui appartient donc de choisir celui qui lui offre le programme en accord avec ses attentes. Pour le cas où l’élu ne fait pas ce qu’il avait prévu, alors là, la grève est normale et justifiée.

  11. Le problème c’est que lors de mouvements sociaux, ceux qui payent n’ont jamais le droit de cité à la table des négociations.
    Les cheminots ou les profs font grève tout le temps, et systématiquement pour avoir plus d’argent et moins de responsabilités, pas pour améliorer l’efficacité de leurs services. En face, il n’y a que l’état qui distribue le pognon des français sans jamais les consulter.
    Mettons la rue face à la rue, que les demandes de budget des uns soient soumises à référendum, idéalement uniquement des gens imposables.

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