Paul Veyne, cet historien de l’Antiquité fasciné par le christianisme qui ne croyait pas aux racines chrétiennes

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Cette semaine, la France et la communauté intellectuelle ont perdu un grand historien en la personne de Paul Veyne. L'Élysée lui a justement rendu hommage, revenant sur les origines du futur normalien et professeur au Collège de France. Cette reconnaissance méritée, qui dépasse les cercles universitaires, tient à quelques spécificités.

D'abord, Paul Veyne était un latiniste (l'un de ses derniers livres, en 2012, est une magistrale retraduction de l'Énéide), un agrégé de grammaire et la dimension littéraire, fondamentale pour comprendre son parcours et son œuvre, est aussi ce qui rend captivante la lecture de ses livres. Historien bien sûr, mais aussi écrivain et philosophe. En 1971, son essai Comment on écrit l'Histoire, avec le concept d'« intrigue », prenait ses distances avec la scientificité autoproclamée du marxisme et du structuralisme pour renouer avec une position plus sceptique, plus subjective, plus sensible, mais fondamentalement humaniste.

Et c'est là sa seconde marque de fabrique - et l'enseignement qu'il nous laisse - dès ce coup d'essai qui fut un coup de maître : l'écart, le contre-pied par rapport aux modes intellectuelles ou aux passions de l'heure. La revendication d'une certaine subjectivité dans le choix des sujets et des approches, en enjambant allègrement certaines barrières universitaires : les jeux à Rome et la question de l'évergétisme, la conversion de Constantin ou encore... René Char.

Plus profondément, les étudiants, qu'ils soient littéraires, philosophes, sociologues, historiens, et le grand public trouveront en Paul Veyne non seulement un admirable écrivain, mais aussi un inlassable questionneur, un modèle de liberté intellectuelle. Par sa façon de revisiter la question du mythe et de la croyance, par son insistance féconde sur la notion d'empire « gréco-romain », par son intérêt tardif mais stimulant pour le christianisme et sa réflexion sur l'écriture de l'Histoire, il demeure un interlocuteur essentiel.

Un interlocuteur qui aurait sans doute apprécié que l'hommage soit l'occasion de poursuivre le débat avec lui. En 2007, son Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) fut, une nouvelle fois, un événement (à compléter par la lecture du moins tonitruant mais tout aussi stimulant Comment notre monde est devenu chrétien, de Marie-Françoise Baslez, disparue elle aussi cette année). Imaginez, Paul Veyne y démontrait que la conversion de Constantin fut sincère, qu'il ne brutalisa pas les païens de l'Empire et que cette conversion de 100 millions de personnes fut lente, progressive et pacifique. Pire : il y affirmait - et en titres de chapitres !- que le christianisme et l'Église étaient des chefs-d'œuvre ! Il n'y avait certainement qu'un incroyant, comme il se revendiquait lui-même, et qu'un ex-membre du Parti communiste pour y affirmer des thèses aussi inactuelles. Tous ces premiers chapitres sont des petits chefs-d'œuvre. Le dernier, concession au débat de l'époque sur les racines chrétiennes de l'Europe, nous semble plus faible, Paul Veyne remettant ses pas dans ceux de l'époque.

Justement, en relisant ces jours-ci l'ouvrage, ma disputatio amicale avec lui a repris, à partir de lui. Son argument majeur contre ces satanées « racines chrétiennes » est connu : « Une religion est une des composantes d'une civilisation, elle n'en est pas la matrice, même si elle a pu quelque temps lui servir de désignation conventionnelle, être son nom de famille. » Le christianisme, une simple composante parmi d'autres ? Une étiquette ? Hum… Or, dans les fulgurances des premiers chapitres de son « Génie du christianisme », Paul Veyne reconnaît que « le christianisme était un organisme complet, ce que n'était pas le paganisme », qu'il était aussi « une contre-société presque complète ». N'est-ce pas précisément cela, une matrice ?

Paul Veyne, du haut de son éternité qu'il revendiquait sans ennui, nous pardonnera cette autre hypothèse sur les origines de son iconoclasme intellectuel : cette méfiance pour les facilités de l'air du temps ne lui venait-elle pas d'une jeunesse pétainiste sous Pétain, et brièvement communiste dans les années 50, quand le PC était incontournable ? En ces temps de déchristianisation avancée, dans sa vieillesse, le christianisme redevenait attractif. Une matrice suffisamment forte pour que Paul Veyne confie, dans une interview au Monde, en 2016 : « Moi-même, je suis ému quand j’entre dans une église et je fais le signe de croix. »

Frédéric Sirgant
Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

Vos commentaires

15 commentaires

  1. Ce que je vois, chez moi en Bretagne, ce sont des chapelles avec des scultures en granit représentant des êtres mi-hommes, mi-animaux. C’est cela le christianisme que je vois, le seul qui me concerne.

  2. Complètement anachronique. Nous savons bien depuis Chirac que l’Europe n’a absolument pas de racines chrétiennes et qu’affirmer le contraire est passible de la réaction des antifas et des dé-boulonneurs de statues de la libre pensée.

  3. « dans sa vieillesse, le christianisme redevenait attractif »

    Cher maître & professeur : la langue française préfère « attrayant » au sot et fade « attractif »… !!

  4. « Moi-même, je suis ému quand j’entre dans une église « Rentrer dans un lieux de culte n’est pas une démarche anodine, avait-il des doutes sur ses affirmations passées  ! « je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi » Évangile de Jean 6:37.

  5. Désaccord épistémologique complet avec cet article. Paul Veyne, disciple de Michel Foucault, fait partie des historiens qui a introduit le relativisme absolu en histoire savante, privilégiant le subjectivisme, à l’encontre des avancées de l’histoire positiviste critique, fondée sur le concept de vérité, d’objectivité et d’impartialité les plus avancées possibles. Dans « Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ? », Paul Veyne a poussé à bout son philosophisme néo-nietzchen, en considérant qu’un Faurisson était légitime » dans « SA » vérité sur la Shoah. L’histoire n’est ni un récitatif fictionnel ou mémoriel, ni un bal costumé. Dommage d’avoir gâché ses travaux sur l’Antiquité, intéressant, par de telles projections philosophiques. (Pr. MB).

  6. « La religion est une insulte à la dignité humaine. Que ce soit avec ou sans elle, il y aura toujours des gens bien qui font de bonnes choses, et des mauvais qui font de mauvaises choses. Mais pour que des gens bien agissent mal, il faut la religion. » Steven Weinberg, prix Nobel de physique.

  7. Il faut distinguer la croyance et l’identité, la culture. La perte de la croyance n’est pas la déchristianisation mais l’avènement de l’athéisme chrétien.

    • Désolé de vous contredire. Non seulement la croyance (et son bâtard la crédulité) sont présentes, mais elles sont indispensables à l’humanisme. Chateaubriand le constatait : « Supprimez le Christianisme et vous aurez l’Islam ». Car l’Humanité ne peut vivre sans croyance. Par contre il n’avait pas prévu que s’immiscerait dans cette évolution naturelle une autre religion bâtarde : l’écologie punitive.

  8. « Pour ceux qui croient, aucune preuve n’est nécessaire, pour ceux qui ne croient pas, aucune preuve n’est possible » Stuart Chase

    • C’est la caractéristique de tout ce qui est fondé sur l’Amour. Il ne se démontre que par la fidélité pendant une vie entière.

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