Mennel Ibtissem, coupable ou victime ?
Il est difficile de discerner les véritables intentions de Mennel Ibtissem quand elle s’est portée candidate à l’émission "The Voice". Je ne m’y aventurerai pas. Mais on peut être surpris d’entendre affirmer, sans nuances, qu’elle était seulement mue par le goût de chanter et de prôner "un message d'amour, de paix et tolérance". Ou que son passé numérique, après les attentats de Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray, n’est qu’une "erreur de jeunesse". À vingt ans, elle avait passé l’âge de raison, tout de même !
Ainsi, le producteur de l’émission "Touche pas à mon poste !", dont chacun connaît le bon goût et l’impartialité, a relayé les confidences de l’intéressée : « Elle dit qu'aujourd'hui, à cause de cette aventure […] et de ce qui s'est passé, elle ne peut plus exercer comme prof d'anglais. »
Tiens ! On ignorait qu’elle enseignât l’anglais. Avec son turban ? Ou un voile ? C’est pourtant interdit dans l’Éducation nationale ! En fait, elle ferait des études pour devenir professeur d’anglais.
Le producteur ajoute : « Elle a dit aussi que c'était TPMP qui avait beaucoup parlé de la polémique [...] et quand j'ai su qu'elle était mal comme ça [...], ça m'a fait beaucoup, beaucoup de peine ».
Quel homme compatissant ! Il n’est pas toujours aussi tendre avec ses autres têtes de Turc. Il voudrait la présenter comme une victime qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
Mais il y a mieux. Franceinfo a interrogé une sociologue, vice-présidente de l’Institut des cultures d’islam, un établissement culturel de la ville de Paris. Selon cette éminente spécialiste, le cas de Mennel est simple : « Dès que ses anciens messages ont été exhumés, l'extrême droite s'est jetée sur elle pour prouver par tous les moyens qu'elle était déloyale et n'avait plus sa place [dans cette émission]. » Tout est donc de la faute de la fachosphère ! Il suffisait d’y penser. L’angélique chanteuse est donc une victime !
Et de citer l'actrice Marion Cotillard, qui « a tenu des propos très limites sur l'attaque du World Trade Center […] Elle n’a été évincée d’aucune agence, n’a pas été obligée d’arrêter sa carrière. » Elle avait, souvenez-vous, exprimé, dans un entretien diffusé sur Paris Première en 2007, des doutes sur la version officielle des attentats du 11 septembre 2001.
Notre sociologue nous donne l’explication de cette différence de traitement : « Marion Cotillard, comme d'autres, est perçue comme légitime, car blanche. Je rappelle que “blanc” n'est pas une couleur de peau mais un statut politique qui, inscrit dans l’héritage de l’ordre colonial et impérial encore actif, octroie des privilèges au groupe identifié comme dominant et légitime. » Ah bon ! On a compris : c’est une manifestation de racisme !
L’analyse d’un professeur de philosophie, dans une tribune de Libération publiée le 18 février, bien que contestable sur certains points, paraît moins sectaire : « Perfusée aux réseaux sociaux, une partie de mes élèves se trouve dans une zone grise, tentée par le repli communautaire, le désir de radicalité et de rupture. C’est eux qu’il nous faut ramener en priorité dans le giron des valeurs républicaines. Mais leur répondre par l’exclusion serait les précipiter dans les bras d’intégristes qui n’attendent que cela. » Elle insiste sur le rôle de l’éducation pour acquérir un peu d’esprit critique et apprendre à réfléchir par soi-même.
Peut-être un brin optimiste mais, en cette circonstance, cela vaut mieux que de présenter Mennel comme une victime, contrainte de faire son autocritique et de renoncer à sa carrière. Je ne sais si elle est cynique ou naïve, ou les deux à la fois : ce qu’il y a de sûr, c’est que la défendre avec de tels arguments, c’est banaliser le radicalisme conscient et prendre les Français pour des imbéciles.
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