Mélenchon dénonce « le parti médiatique » : aux médias de démontrer qu’il a tort !

Jean-Luc Mélenchon se doutait de ce qu'il allait déclencher en dénonçant "le parti médiatique" auquel il fallait s'opposer à tout prix. La coupe n'étant pas assez pleine, il a défendu sur son blog la liberté de parole de Laurent Wauquiez et fustigé des médias ennemis de la liberté d'expression.

L'intéressant est que cette polémique et cette dénonciation, pour une fois, ont contraint les médias, tous genres confondus, à se défendre et à considérer que ces attaques, en gros, portaient atteinte à la démocratie dont ils auraient été les intercesseurs privilégiés.

Cette joute dépassait de loin le seul cas de La France insoumise puisqu'on mettait dans le même sac, pour la pourfendre, la coagulation critique à l'encontre du rôle des médias qui réunissait donc non seulement Jean-Luc Mélenchon et sa verve caustique mais Laurent Wauquiez chargeant, à la suite de son épisode lyonnais, l'indécence médiatique, Marine Le Pen et sa permanente mise en cause de la partialité médiatique et, enfin, le président de la République avec sa méfiance théorisée et maintenue à l'égard de médias trop corporatistes et peu doués pour appréhender la pensée complexe. J'ai conscience de l'hétérogénéité de cet inventaire, mais il résulte d'un éditorial du Monde ("Haro sur les médias !") tout à fait éclairant sur la conception orgueilleuse et clairement irréprochable que ce quotidien, qui les représente, donne d'eux-mêmes.

Au fond, il n'y aurait pas de parti médiatique mais, au contraire, le service "d'une mission permanente à laquelle les médias s'emploient : informer scrupuleusement, enquêter solidement, raconter honnêtement, décrypter aussi intelligemment que possible la réalité au service de leurs lecteurs ou auditeurs. Bref, transmettre la culture, nourrir la lucidité des citoyens."

Quel magnifique programme mais qui, malheureusement, relève plus de l'autopersuasion que d'une vérité dont la pratique démontrerait la validité, aussi bien pour la presse écrite que pour l'audiovisuel, tant en matière politique que dans le domaine culturel où le clientélisme fait la loi !

Cette appellation de parti médiatique et l'unité qu'elle suppose, que les médias soient de droite ou de gauche, les constitue d'abord comme un monde refusant toute critique sur ce qu'il est, toute interrogation sur son impartialité, son objectivité et la pauvreté de son pluralisme, mais s'enivrant des hommages formels que de plus en plus il est le seul à s'adresser.

La distinction fondamentale entre information et opinion a volé en éclats, de même que la séparation - pourtant la base d'un journalisme de qualité - entre le réel correctement transmis et son commentaire. On peut, dorénavant, parler plutôt d'une "infopinion" ou d'une "opininfo", un mélange qui fait perdre à l'information ce qu'elle doit avoir d'irréfutable et à l'opinion ce qu'elle a le droit d'afficher comme une subjectivité assumée.

Surtout cet opprobre jeté sur "le parti médiatique" déchire le voile pudiquement jeté sur un univers qui a toujours à faire croire qu'il ne se trouvait pas impliqué dans la mêlée et le débat politiques, ni gangrené par les solidarités professionnelles et culturelles mais, en quelque sorte, en surplomb, détaché, extérieur à la furie partisane, analyste froid et équitable.

Qu'il y ait un "parti médiatique" dépassant et transcendant les frontières apparemment clivantes est une évidence. Ceci ne signifie pas que la mission d'informer vraiment et d'analyser honnêtement soit facile à accomplir. Les remous ayant accompagné le lancement et le développement du Le Média de La France insoumise ont constitué une parfaite illustration de ce que la dénonciation des médias classiques est aisée mais que l'invention d'une communication exemplaire est épouvantablement difficile.

Mais il est certain que les médias ne se sortiront pas de la nasse critique d'aujourd'hui en se contentant de traiter avec mépris et condescendance ce "haro sur eux". Il convient qu'ils s'interrogent et qu'ils en tirent des leçons. Le temps de la révérence par principe et de l'impunité par crainte est révolu.

S'ils ne constituent pas un parti médiatique, qu'ils démontrent alors qu'ils sont authentiquement une chance - concrète, quotidienne, irréfutable et donc respectée - pour la démocratie.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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