Après la crise sanitaire, la crise économique qui vient devrait se caractériser par un recul du PIB sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour faire face à cette crise, l'Union européenne a lancé un grand emprunt obligataire. Markus Kerber, juriste, professeur d'économie à l'Université technique de Berlin, souligne que la Commission européenne aura tout pouvoir pour décider qui bénéficiera des versements de cet emprunt. Une manière de renforcer ses pouvoirs et « faire plier les démocraties nationales et leurs prérogatives budgétaires ».

Je suis économiste, juriste et professeur universitaire à l’université technique de Berlin. De temps en temps, je suis professeur invité à Paris II et professeur invité en permanence à l’école nationale de Varsovie.

Vous êtes intervenu dans cette émission. Vous avez notamment parlé de l’Union européenne et de cette crise économique. Pour la France, on parle d’un recul du PIB de 10 à 12 %. À quelle sauce les Européens vont-ils être mangés ?

Nous devrions faire face pour la première fois à une crise tout à fait inhabituelle et unique avec un recul du PIB jamais vu depuis la fin de la 2e guerre mondiale. Nous devrions repenser complètement nos structures de dépense ainsi que les structures de revenus. Serait-il l’heure de baisser les impôts et d’accepter les déficits grandissants en raison d’une telle incitation à la productivité plutôt que de lancer un grand emprunt obligataire au niveau de la Constitution européenne ? Cette dernière va donner le tout pouvoir à la Commission pour décider quelle région, quelle localité, quel pays et quelle ville profitera des versements bénévoles de Bruxelles.

Peut-on parler d’un glissement totalitaire ?

Je vous laisse juger vos paroles et vos adjectifs. C’est un coup d’État. La Commission ne peut pas prétendre savoir dans quel pays, à quel endroit, dans quelle région et à quel niveau étatique. Ceux qui ne comprennent pas pourquoi c’est une impossibilité, je les invite à lire Friedrich Hayek, la Constitution de la liberté qui explique que l’État ne peut pas savoir cela. Celui qui prétend savoir devient forcément un État totalitaire qui ne libère pas les forces productrices d’un pays, mais qui privilégie celui qui sait mieux organiser son lobbying à Bruxelles. Une chose est sûre, toute la raison de ce gigantesque programme est de renforcer les pouvoirs de Bruxelles, de les centraliser et de faire plier les démocraties nationales et leurs prérogatives budgétaires.

C’est l’Europe contre les nations, l’Europe contre les peuples…

Encore une fois, je serais beaucoup plus nuancé. À terme, les démocraties nationales vont mener à un éloignement entre l’idée de l’intégration européenne et les peuples. Il n’est pas tout à fait récent que Bruxelles a complètement perdu le contact avec les peuples européens et qu’un groupuscule de technocrates renforcés par madame Von der Leyen prétend savoir ce qui est bien pour les peuples européens.

Ce sujet passionne nos lecteurs et les Français. En France, nous sommes très critiques. Beaucoup ont l’impression que ce couple est un peu déséquilibré et que finalement l’Allemagne dirige l’Union européenne. C’est l’argument principal des populistes français. Que répondez-vous à cela ?

Depuis que madame Merkel est en fonction, elle a abandonné systématiquement des positions traditionnellement allemandes. C’est vrai pour l’aide accordée à la Grèce contre l’article 125. C’est aussi vrai pour l’aide accordée au Portugal, à l’Irlande, en Espagne et à Chypre. C’est vrai pour la création du mécanisme de stabilité qui expose l’Allemagne à une perte de 190 milliards d’euros. Le dernier triste chapitre est la politique d’abandon de madame Merkel. Le consentement et la mutualisation de dette décidés sous l’impulsion du président Macron peuvent fièrement s’arroger de ce succès triomphal de la France contre une Allemagne qui était réticente à l’égard de dettes mutuelles.

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27 juin 2020 à 11:30

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