Manu Dibango et le souffle divin… du saxophone
En nos contrées, personne ne savait aussi bien que lui faire reluire le cuivre du saxophone. Et qui d’autre que lui pour s’époumoner aux côtés d’un Dick Rivers, d’un Nino Ferrer, tout en donnant ses lettres de noblesse à ce que l’on n'appelait pas encore la « world music » ? Lui, c’était Manu Dibango, qui a rendu l’âme, ce 24 mars dernier, à l’âge de 86 ans, des suites de ce foutu coronavirus.
À propos de « world music », le magazine Jeune Afrique lui posait déjà la question, en décembre 2008 : « Êtes-vous le plus grand artiste de world music ? » Réponse : « Oui, 1 mètre 84 ! » Ce terme le gênerait-il ? Oui, une fois de plus : « On utilise l’anglais pour ne pas dire musiques du monde. C’est comme “Black” pour “Noir”. Je ne parle même pas de “Nègre”, terme que j’assume entièrement. Ces mots-là ont été tellement péjoratifs qu’on a peur de les utiliser. » Lui pas, à l’évidence.
Il est vrai que l’histoire de Manu Dibango nous emmène loin de l’actuelle vulgate antiraciste. Né en 1933 dans une riche famille camerounaise, il débarque à Marseille dès 1949, les poches vides et des espoirs plein la tête. Ses parents rêvent de belles études, prient le Tout-Puissant et tous les dieux d’Afrique pour que le rejeton fantasque obtienne son baccalauréat, option philosophie, au lycée de Reims.
Ces vœux pieux demeurent vains, le petit Manu préférant manifestement le souffle du saxophone à celui de l’Esprit saint. Devant une foi aussi vivace, ses parents s’inclinent : leur enfant ne sera jamais fonctionnaire mais saltimbanque.
Manu Dibango se souvient, toujours selon Jeune Afrique : « À la fin des années soixante, j’ai entendu que Dick Rivers cherchait des musiciens pour un énième come-back. Le groupe ne s’appelait pas encore Les Lions indomptables, mais Les Lionceaux ! [Afrique un jour, Afrique toujours ! NDLR] Puis, j’ai rencontré Nino Ferrer, qui m’a embauché. » Nino Ferrer… Le plus grand de nos chanteurs de l’époque et autre enfant d’immigrés, puisque né Agostino Arturo Maria Ferrari.
Au contraire de tant d’autres demi-vedettes de l’époque, Nino Ferrer est un véritable musicien, jouant de la basse comme personne. Mieux : il compose et écrit. Il fait les premières parties de Ray Charles et Count Basie au Festival de jazz d’Antibes, en 1961, accompagne l’immense Nancy Holloway, l’une de ces artistes ayant fui la ségrégation raciale américaine pour venir faire sa pelote en France, au même titre que ses homologues masculins, Memphis Slim, Big Bill Broonzy, Luther Allison ; liste non exhaustive.
De Dibango à Nino, l’entente est immédiate. Entre musiciens, il y a toujours matière à se comprendre et, surtout, à s’estimer. Mais, autant Manu est de l’espèce joyeuse, autant Nino participe du genre dépressif. Le défunt : « Nino était un torturé. Il détestait ce que les gens aimaient de lui. Y compris son tube “Le Sud”. Il l’avait écrit pour une fille qui n’a pas pu le chanter. Il faut dire qu’il fonctionnait un peu à l’africaine. Il évoluait avec les femmes comme dans les gammes. Alors, il s’y est collé, mais il était désespéré chaque fois que le morceau était diffusé. Il a fini par se flinguer. »
Entre-temps, Manu Dibango ne tarde pas à s’exporter à l’étranger ; aux USA, principalement, avec sa fameuse ritournelle, « Soul Makossa », qui sera allègrement pillée par des Michael Jackson et des Rihanna. D’où des procès à l’américaine, sans fin, mais dont il finit par sortir plus ou moins vainqueur et qui laissent à penser que la possible solidarité noire n’est que vue de l’esprit devant la supériorité des billets verts.
Pour le reste, le saxophone magique de Manu Dibango a retenti à peu près partout, chez Peter Gabriel ou Sting et tant d’autres, rendu plus magique encore quand accompagné de Manu Katché, l’un des meilleurs batteurs au monde, quelque part entre Charlie Watts et Ginger Baker.
« Eh Manu, tu descends ? », comme auraient dit Les Inconnus. « Mais pour quoi faire ? Je suis déjà monté au Ciel ! »
Vive Manu Dibango et son divin saxophone…
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