Maltraitances dans les EHPAD : comment y remédier ?

gérard Brami

La France tiendrait-elle le triste record de la maltraitance des personnes âgées ? C’est la conclusion qu’on pourrait en tirer de la diffusion du documentaire de « Zone Interdite », ce 29 janvier dernier, sur M6, du désastreux bilan présenté par le Défenseur des droits publié 18 mois après son rapport alarmant sur les droits fondamentaux des personnes âgées en EHPAD « trop souvent mis à mal » (mai 2021) et le scandale ORPEA. Pour comprendre ces dysfonctionnements et savoir comment améliorer le système, nous avons interrogé Gérard Brami. Cet écrivain prolixe qui a publié une trentaine d’ouvrages sur le sujet (dernier en date : Les Oubliées. Guide pratique pour personnes âgées en quête de droits et libertés, Vérone Éditions, 2023) a été, pendant plus de quarante ans, directeur d’EHPAD. Docteur en droit, il est chargé d’enseignement à l’université de Nice et investi dans de nombreuses associations touchant au grand âge.

Sabine de Villeroché. Gérard Brami, en France, les EHPAD, c’est l’enfer pour les personnes âgées ?

Gérard Brami. À l’heure actuelle, au vu des révélations que nous entendons, nous pouvons considérer qu’il y a une très forte augmentation - plus de 20 % depuis deux ans – des actes de maltraitance en France.

S. d. V. Comment expliquer qu'il y ait autant de dysfonctionnements, et surtout ces nombreux cas de maltraitances ?

G. B. On peut expliquer ces actes de maltraitance et les dysfonctionnements des EHPAD à travers quatre constats importants. Tout d’abord, parce que la France favorise, plus que les autres États européens, l’institutionnalisation des personnes âgées. C’est-à-dire l’entrée des personnes âgées en EHPAD. Ensuite, par l’augmentation considérable, depuis deux décennies, des EHPAD privés à but commercial, dont l’excès de profitabilité a conduit naturellement à rendre insupportable la prestation fournie par rapport aux coûts demandés.

Un troisième facteur, c’est celui des insuffisances en matière d’effectifs de personnel, des insuffisances en matière de dotation financière, face à la profonde aggravation des pertes d’autonomie des nouvelles personnes âgées hébergées en EHPAD.

Enfin, et cela est très heureux, c’est l’expression critique des familles. Il reste que cette expression devient conflictuelle, alors qu’elle gagnerait à se faire de manière juridique, pratique, dans le dialogue. C’est ce que j’essaie de développer dans mon dernier ouvrage, en me reposant sur un vécu à la fois professionnel et d’accompagnement d’EHPAD et de familles.

S. d. V. Bien vieillir en France, c’est encore possible ?

G. B. Oui, tout à fait. À la condition que nous arrêtions avec des politiques trop restrictives. Un petit exemple : 90 % des personnes âgées veulent vivre à leur domicile. Ces domiciles ont besoin d’être adaptés au grand âge. Un rapport récent a montré qu’il fallait adapter près de deux millions de logements, alors que 70.000 logements seulement bénéficient d’une adaptation par année. Le moins qu’on puisse dire, même si des mesures sont actuellement préconisées, c’est que le retard pris pour le maintien à domicile constitue une véritable traduction des défaillances des politiques sociales et médico-sociales.

S. d. V. Pour Claire Hédon, le Défenseur des droits, 18 mois après le scandale ORPEA, « la réponse des pouvoirs publics n’est pas à la hauteur ». Où est donc passé le « plan grand âge » du gouvernement ?

G. B. Incontestablement, la réponse des pouvoirs publics n’est pas à la hauteur. Il ne peut pas y avoir de plan grand âge sans prendre en considération, par exemple, le plan solidarité grand âge de l’année 2006 qui préconise un salarié pour un résident, c’est-à-dire à peu près, tous services confondus, une centaine de salariés pour une centaine de résidents. Nous en sommes aujourd’hui, environ, à 63 ou 64 salariés pour cent résidents. Et le secteur privé à but commercial en a encore moins, malgré les prix élevés pratiqués.

Alors, le gouvernement essaie par des mesurettes - par exemple, la mise en place de tiers lieux, qui vise à rendre attractive la fréquentation de l’EHPAD du quartier par les habitants de tous âges, ou par la mise en place d’une infirmière la nuit, infirmière partagée par plusieurs établissements - d’apporter un simulacre de réponse. Les questions sont beaucoup plus sérieuses. Les réponses ne semblent pas l’être.

S. d. V. Vous militez pour le maintien le plus longtemps possible des personnes âgées à leur domicile avec des aides extérieures : pensez-vous que les Français en ont les moyens ? Est-ce une réelle garantie de non-maltraitance ?

G. B. Si la question de la maltraitance à domicile est loin d’être résolue, nous pouvons dire tout de même que tous les moyens doivent être apportés pour ce maintien – soutien - à domicile. Nous disposons de magnifiques outils, pratiques, innovants, pour cela. Et les coûts ne sont pas forcément les plus élevés. N’oublions pas qu’il y a près de dix millions de personnes qui aident leurs parents handicapés ou âgés, et des aides existent, souvent peu utilisées car difficile à concrétiser. Rappelons toujours qu’au domicile, la personne âgée garde sa centralité, son individualité, mais qu’en institution, par la faute de l’excès des normes, des législations, des réglementations, des recommandations, l’institution ne peut que s’imposer et imposer ses contraintes face à la personne âgée hébergée.

Sabine de Villeroché
Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Vos commentaires

15 commentaires

  1. De la part des aidants Il y a deux sortes d’attitude envers les personnes âgées: l’une consiste à être nulle confondre dame de compagnie et aide ménagère et en faire le minimum et l’autre consiste à «  prendre la main» diriger la maison imposer sa loi à la personne jugée déficiente et en évinçant l’entourage s’approprier petit à petit toutes les responsabilités.
    Dns les deux cas c’est l’enfer et en EHPAD comme à la maison la personne âgée est considêrée comme débile plus ou moins infirme qui n’a plus de rôle dans la société.
    Croyez que je ne fabule pas c’est une histoire vécue et j’attends toujours l’aide compréhensive et efficace après 4 ans d’essais auprès d’organismes qui sont sûrement très lucratifs. Être vieux en France n’est pas facile , les poncifs ont la vie dure et on oscille entre pitié et agacement , l’image qu’on renvoie n’a rien de positif et la crainte pour les jeunes d’y ressembler avec les années fait peur. .

  2. La perte de capacités cognitive des ainés autorise toutes les dérives, et les familles, si elle tentent de rétablir les droits des ainés- sont attaquées par l’administration, la justice..etc…Les directions des EHPAD n’ont que peu de formations en droit et appliquent la loi du plus fort- l’administration- au dépends des personnes âgées. c’est absolument Kafkaïen. QUi se penchera sur les abus de curateurs et tuteurs qui sont une triste réalité commune. Le service départemental chargé du contrôle des curateurs privés m’a dit sans siller qu’ils n’avaient pas travaillé pendant deux ans de l’épisode COVID parce qu’ils avaient été renvoyés à leurs domiciles et qu’on ne leur avait pas fourni d’ordinateur pour travailler à distance! DEUX ANS!!!!

  3. Je peux témoigner pour ce qui concerne le maintien à domicile d’une personne du 4° âge. Coût mensuel pour 4 h d’auxiliaire de vie par jour et présence de nuit tous les jours de la semaine :7600 €. Les soins médicaux et paramédicaux étant pris en charge par ailleurs en ALD par la sécurité sociale. Quel retraité de classe moyenne peut se payer ce luxe ? J’ai pourtant essayé de maintenir dans ces conditions ma mère grabataire à la maison, pensant qu’à ce prix, les poubelles seraient vidées et la chambre maintenue propre. Mais lorsque le médecin a demandé une hospitalisation pour une aggravation de santé, il a fallu payer les auxiliaires pendant 15 jours qui n’ont pas le droit de venir quand la personne âgée est absente. Ensuite hospitalisée en court séjour, il n’a pas été possible de la reverser dans un service de soins de suite ou dans un Ehpad. Il n’y a pas de places sauf en Ehpad de gestion privé. En 15 jours de l’Ehpad géré par KORIAN, elle revenue avec des bleus, des escarres et des vêtements en moins. Le bilan orthophonique facturé n’a jamais été réalisé et le médecin lui a administré des antidiabétiques alors qu’elle n’a aucun problème avec cette maladie. Tout ce qui est dit sur l’aide au maintien à domicile est de la pure communication.

  4. Au fil des années, plusieurs métiers servent à l’état de voie de stockage pour les plus inadaptés.
    Je ne vais pas revenir sur le passé, mais depuis quelques années c’est le métier d’aide soignant qui tient ce rôle.
    A travers les différentes exigences syndicales, les infirmiers se sont retrouvés à faire une grande partie du métier des médecins et les aides soignants à faire une grande partie de celui des infirmiers.
    La tête de la pyramide travaillant de moins en moins, il a fallu embaucher massivement à la base pour faire le boulot.
    On a donc recruté énormément d’aides soignants, peu formés et comme partout ailleurs, avec des bonus idéologiques décernés à certains.
    La bonne vieille discrimination positive qui fait que certains diplômés maitrisent tellement mal le français qu’ils sont incapables de se faire comprendre des patients.
    Les aides soignants sont les pierres angulaires des EHPAD, donc comme pour tout, ils sont maintenant à l’image du recrutement qui y est imposé.

    • Rigoureusement exact
      J’ai eu pour ma part une « aide » pour faire mes courses qui ne savait ni lire ni écrire le français . Une autre qui m’a laissé dans rue pour rentrer chez elle alors que je venais de tomber , une autre qui repassait du linge sans brancher l’appareil.. on croit rêver mais c’est le quotidien et bien content quand il y a quelqu’un qui vient régulièrement. Ce n’est jamais la même personne et c’est toujours aléatoire.
      Il paraît qu’il faut «  porter plainte »…dans les cas graves, mais c’est pire que pour les femmes battues et vous êtes le grand père toujours gaga qui se plaint tout le temps et raconte n’importe quoi… bien pratique !
      Sans lois, aucune surveillance règle ou obligation les entreprises d’aides à domicile et les EHPAD ont un avenir très lucratif. Aux familles de se battre et pour ceux qui n’en ont pas : l’euthanasie.

  5. Quelle mesure! Quelle finesse d’analyse! Gérard Brami est la référence absolue en matière d’EHPAD; tant en matière de gestion financière et RH que pour la conduite de projet, ou l’accompagnement des équipes et des résidants. En tant qu’ancien directeur d’EHPAD, j’ai « bu » tous ces livres et eu la chance de rencontrer le personnage. Il est humble, discret (pas comme Champvert), hyper pointu et… accessible. C’est cet homme qu’il faudrait à la tête d’un Ministère du Grand Age. Hélas, Monsieur Brami n’a pas d’ambition et c’est un honnête homme. Bref, pas du tout le profil recherché pour une telle fonction.

  6. Aucun rapport entre le scandale ORPEA et les EFPAD. Il y a les machines à fric, utilisées par des financiers peu scrupuleux pour exploiter le marché porteur des seniors, et les maisons de retraites publiques, limitées par leurs faibles moyens, le prix de l’énergie , l’inflation et la pénurie de personnel soignant, la mise en faillite des budgets départementaux et la gestion catastrophique du budget de l »Etat.

  7. Au sommet il n’y a pas une volonté réelle de changer les choses …l’euthanasie attend dans l’ombre

  8. Il n’y a pas que les EHPAD
    Faute de personnel qualifié les organismes d’aides à domicile sont déficients et emploient des étrangers qui ne savent ni lire ni écrire n’ont pas de domicile fixe et ne connaissent rien à la vie quotidienne d’une personne âgée ( histoire vécue). Ces entreprises en nombre pléthorique qui prétendent vous assurer le maintien à domicile sont en fait de gigantesques usines à fric.. En France la personne âgée n’est ni aidée ni respectée , les jeunes souvent éloignés et absents pensent tout régler en payant une entreprise spécialisée et en fait c’est loin d’être le cas. Sans responsable qui surveille que ce soit à l’hôpital en EHPAD ou chez soi la personne vulnérable n’est pas en sécurité.
    Cela doit se savoir.

    • 100%d’accord avec vous, pour l’avoir vécue. Personnel incompétent, profitant de la gentillesse à l’époque de mon père, une épaisseur de moutons sous le lit et bahut et je n’ose pas en dire plus, sauf que les contrôles ne se font jamais à l’improviste et que les responsables ( profiteurs)absents ou dans le déni lors de réclamations.

    • C’est exactement ce que je vis avec ma mère. Je peux témoigner que ces aides à domiciles si peu formées sont parfois très dangereuses pour les personnes âgées qui doivent rester alitées. Il faut surveiller c’est sûr et aussi compenser ce qui n’est pas fait par les aides. mais comment faire lorsqu’on habite très loin. Entre 2 domiciles à gérer, on s’épuise jusqu’à la maladie et la dépression.

  9. Ce monsieur n’aborde jamais, comme tous ceux qui interviennent sur ce sujet, la devoir des familles dans la responsabilité financière.
    L’état, toujours l’état..
    La famille doit assumer ces frais et ne pas déléguer à l’état tout en s’arrangeant pour ne pas toucher ou le moins possible aux bien de la personne âgée.
    L’héritage…

  10. Gérer par des privés je n’y mettrai jamais un proche , nous savons tous que ce qu’ils veulent c’est s’enrichir . Réduisons le budget et le personnel des prisons au profit de nos aînés . Cout moyen d’un prisonnier 110 euros par jour , c’est beaucoup trop et surtout gratuit pour le résident . On peut aussi vider au maximum ces prisons et renvoyer les criminels chez eux , avec les économies on bichonne nos aînés qui eux le méritent bien .

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